L’écriture, une thérapie pour les rescapés du génocide perpétré contre les Tutsis
Lors des Rencontres internationales du livre francophone du Rwanda en mars 2024, Dimitrie Sissi Mukanyiligira (à gauche) a pu présenter son livre « N’accepte pas de mourir ». Crédit photo : Alan Bernigaud.
Depuis quelques années la parole se libère au Rwanda, et de plus en plus de livres sont publiés par des rescapés du génocide perpétré contre les Tutsis. Œuvres de mémoire, ces écrits ont également un effet thérapeutique sur les personnes qui osent prendre la plume.
« Avant la publication de mon livre, je faisais des cauchemars et j’avais peur en permanence. Depuis que j’ai mis les mots sur le papier, je dirais que je suis guéri », relate Charles Habonimana, auteur de « Moi, le dernier Tutsi », publié en 2019. Dans son roman mémoire, il raconte comment à l’âge de 12 ans il a survécu aux 100 jours du génocide qui a terrassé le Rwanda au printemps 1994. Durant ce laps de temps, plus d’un million de personnes, majoritairement des Tutsis et des Hutus modérés, ont été tuées, et des centaines de milliers de femmes ont été violées.
Si quelques livres, notamment écrits par des Rwandais expatriés, ont été publiés dans les années qui ont suivi le génocide, ce n’est que depuis peu que de plus en plus de rescapés commencent à raconter leur histoire. Parmi les raisons de ce recours à l’écriture : le vieillissement de la population des rescapés, la peur de perdre les souvenirs et les questions des jeunes générations. « Je suis un des seuls survivants de mon village de Mayunzwe, donc je suis un des derniers témoins oculaires de ce qu’il s’est passé là-bas, raconte Charles Habonimana. Je ne voulais surtout pas prendre le risque de partir sans avoir témoigné au monde et aux générations futures ».
De son côté, Dimitrie Sissi Mukanyiligira, autrice de « N’accepte pas de mourir », s’était promis de raconter ce qui s’était passé durant le génocide. Elle a finalement pris la plume en 2020, motivée par les questions de ses enfants. Mais le processus d’écriture s’est révélé complexe. L’autrice rwandaise raconte avoir fait de nombreux cauchemars durant cette période. « J’écrivais tôt le matin, vers 4 h, car je ne voulais pas que mes enfants me voient pleurer. Parfois, ça me rendait malade, je devais m’arrêter et appeler une amie psychologue pour me consoler. » Pour Charles Habonimana, le processus a pris 12 ans. « J’avais écrit mon histoire, mais je n’osais pas la publier, car elle me dégoûtait. »
Pourtant, à la publication de leur livre, les deux auteurs se sentent libérés d’un poids. Dimitrie Sissi Mukanyiligira raconte avoir souffert de symptômes psychosomatiques tels que des maux de tête, des vertiges, voire même l’impossibilité de marcher. Après la publication de son livre en 2022, ses symptômes ont disparu : « Je me sens plus légère, je n’ai plus peur de la vie et surtout, je ne me sens plus comme une victime ». Selon la psychologue Patricie Mukandutiye, l’écriture a des vertus thérapeutiques indéniables : « Écrire permet d’ordonner ses idées et d’extérioriser ce qui était dans le monde intérieur. C’est une façon de mieux comprendre ses émotions, sans se sentir jugé ou honteux. »
L’écriture, une guérison collective
Mais, plus qu’écrire, la psychologue rwandaise recommande de partager les récits : « Il est important que le message touche plusieurs personnes. Celui qui écrit verra sa contribution à la société, et les lecteurs se sentiront moins seuls en lisant une histoire proche de la leur. »
En effet, à la publication de son récit, Charles Habonimana a reçu de nombreux appels pour le remercier d’avoir conté leur histoire commune. Pareil pour Dimitrie Sissi Mukanyiligira, qui a été remerciée d’avoir redonné vie à sa famille. « Écrire, c’est rendre immortels nos proches défunts. Montrer qu’ils étaient plus qu’un nom, qu’ils avaient aussi une vie, des valeurs, des rêves de futur », dit-elle.
Aujourd’hui, l’autrice a créé la fondation Live-On, dont l’objectif est d’aider les gens à écrire. « Beaucoup de personnes sont vieilles ou ne savent pas écrire, donc je leur apporte mon aide. Je collecte certaines histoires ou alors j’encourage et donne des conseils aux personnes capables d’écrire. » En parallèle, des associations organisent des ateliers d’écriture pour permettre au plus grand nombre de partager leur histoire.
Mais si Dimitrie Sissi Mukanyiligira souhaite aider les rescapés grâce à l’écriture, elle y voit aussi une responsabilité militante. « Notre rôle maintenant est de sensibiliser le monde et les générations futures sur comment s’est orchestré le génocide ». Et de conclure : « J’aime penser qu’une personne à l’autre bout du monde qui lira mon livre sera plus attentive et pourra alerter si elle sent qu’une situation similaire se prépare. »
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