L’entreprise Api Afrique concilie lutte contre la précarité menstruelle et développement de solutions écologiques

L’entreprise Api Afrique concilie lutte contre la précarité menstruelle et développement de solutions écologiques

Api Afrique se rend dans les écoles et dans les villages pour sensibiliser les populations à travers des ateliers | © Api Afrique

Par Deborah Weill

Api Afrique, une jeune société implantée au Sénégal, lutte pour l’accès aux protections hygiéniques menstruelles en Afrique. Elle propose des solutions innovantes et adaptées à la réalité du continent pour déconstruire les mythes qui continuent de stigmatiser les genres.

Dans toutes les sociétés, les périodes menstruelles demeurent un sujet tabou, largement évité dans les débats et évincé des considérations politiques. Pourtant, il est prouvé que des millions de personnes dans le monde ne peuvent vivre ce cycle naturel dignement, faute de moyens. Le continent africain est fortement concerné par cette précarité menstruelle. En effet, lorsque l’on considère que 40 % des foyers du continent vivent sous le seuil de la pauvreté, on peut en déduire que peu de familles peuvent se fournir en protections adéquates.

À cette problématique d’ordre budgétaire, il faut ajouter bien d’autres éléments qui précarisent les femmes et les jeunes filles en âge d’avoir leurs règles. Toxicité des serviettes et des tampons disponibles sur le marché (entraînant une pollution des écosystèmes par les déchets conséquents) et méconnaissance globale de la société sur le sujet entraînant une incompréhension totale du phénomène vécu sont autant d’éléments qui nuisent à l’épanouissement des femmes. En effet, si les menstruations sont toujours un frein dans la vie des femmes africaines, c’est parce que culturellement c’est un phénomène extrêmement tabou, considéré comme sale et rendant les femmes impures. Les femmes ont alors tendance à s’effacer de la société pendant leurs périodes menstruelles.

Concrètement, les conséquences de ces problématiques sont lourdes et creusent encore le gouffre des inégalités de genre. Selon l’Unesco, 10 % des jeunes filles africaines manqueraient l’école pendant la période de leur menstruation. Une étude au Kenya a révélé que la détresse de ces jeunes filles pousse certaines à échanger des rapports sexuels contre ces protections, que leur famille ne peut se procurer.

En 2010, Marina Gning, qui avait ouvert en France une entreprise spécialisée en couches et protections menstruelles écologiques, a décidé de se délocaliser au Sénégal. Après plusieurs voyages réalisés sur le continent africain dans la famille de son époux, Marina Gning prend conscience de l’envergure de la situation et comprend que ses produits seraient véritablement utiles à la communauté locale. C’est ainsi qu’en 2010, Api Afrique ouvre ses portes, et s’implante stratégiquement en milieu rural au Sénégal. Avec ses collaboratrices, Marina a voulu « pallier la diffusion de protections hygiéniques jetables, souvent fabriquées à partir de produits toxiques, et source immense de déchets, grâce au développement de solutions saines, accessibles et qui durent sur le long terme ».

Un projet ambitieux, surtout lorsque l’on considère le poids de la tradition. « C’est très compliqué de travailler sur le sujet des règles en Afrique. Au début, les jeunes filles prétendent ne pas savoir ce dont on parle. Souvent, elles nient en avoir déjà fait l’expérience. Il faut vraiment faire un travail d’information pour que les langues se délient ». Cette diabolisation du phénomène nuit pourtant gravement au développement de la société. « C’est un fait avéré que les filles ratent l’école pendant leurs règles. Elles ont peur d’aller au tableau à cause des taches. Il y a aussi la problématique des infrastructures : on compte 3 toilettes pour 1 080 élèves. Il n’y a pas toujours d’eau ou de lumière, les locaux peuvent être très sales, et il n’y a pas de poubelles à leur disposition », précise Marina Gning.

Pour que les inégalités cessent de se creuser, Api Afrique a décidé d’investir dans la création d’un support d’information solide et efficace, adapté à la réalité du milieu rural au Sénégal. Le programme « Changeons les règles » propose un site d’information culturellement adaptée ainsi qu’un livret papier distribué dans les milieux qui n’ont pas accès à Internet.

Api Afrique se rend dans les écoles et dans les villages pour sensibiliser les populations grâce à des ateliers. C’est ainsi que l’entreprise a obtenu en 2020 le Prix international de la fondation La France s’engage, pour financer sur trois ans une application mobile proposant des chatbox en plusieurs langues afin de discuter avec du personnel médical, animant des ateliers, et contenant une version numérique du livret d’information sur les menstruations. « Les filles ici ont aussi très mal pendant leurs règles. Je pense que le niveau de désinformation peut augmenter la douleur, qui s’ajoute à la peur et à la honte », estime Marina Gning.

L’existence de tels projets est pour l’Afrique une opportunité de se développer de façon innovante, en misant sur des actions saines et responsables qui répondent aux besoins des populations. C’est d’autant plus une véritable opportunité de marché économique pour les jeunes entrepreneurs et travailleurs du continent.

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