Les start-up africaines préparent l’après-aide au développement

Les start-up africaines préparent l’après-aide au développement

« Les besoins de nos start-up ne sont pas forcément à coups de milliards », Luc Missidimzi, fondateur d’OSIANE au salon VivaTech 2025. Crédit photo : Laurence Soustras.

Rédigé par Laurence Soustras

Modifié le 16 juin 2025

Cette année, le recul de l’aide américaine pèse sur l’environnement du financement des start‑up africaines, une préoccupation qui ne les a pas détournées du salon VivaTech 2025, où étaient présents plusieurs pavillons nationaux du continent.

Le rôle de rendez‑vous européen de la technologie à ne pas rater pour les start‑up africaines se confirme année après année pour VivaTech. L’édition 2025, avec 180 000 visiteurs et 14 000 start‑up représentées, n’a pas dérogé à la règle : le salon a attiré 50 pavillons nationaux, soit 20 % de plus que l’an dernier. Parmi eux, plusieurs États africains, comme le Nigéria et le Sénégal, ont fait le déplacement la semaine dernière. Pour autant, les participants africains ont noté une subtile transition par rapport à l’édition 2024, marquée par le couronnement de l’effervescence autour des développements de l’intelligence artificielle. 

Cybersécurité et I.A. quantique

Si les applications I.A. sont restées bien représentées (+ 40 % des exposants), l’emphase s’est aussi portée sur une préoccupation devenue plus prioritaire aux yeux des acteurs du secteur des technologies avancées : l’enjeu de la cybersécurité. « On voit cette année beaucoup de solutions de cybersécurité sur les stands, souligne un habitué de VivaTech, Erick Maville, président de l’association Santé en entreprise, c’est une tendance que nous avions déjà remarquée il y a quelques semaines à Marrakech pour le salon GITEX Africa et qui se confirme aux côtés de l’accélération quantique de l’I.A. ». Les start‑up africaines spécialisées dans la digitalisation du parcours de santé s’intéressent ainsi de plus en plus à l’enjeu de la collecte des données et leur protection, un impératif qui se retrouve dans le secteur financier. Ce n’est pas un hasard si parmi les trois lauréats des prix Africatech décernés à VivaTech cette année figure la jeune pousse nigériane Zeeh Africa, qui développe des solutions basées sur l’I.A. pour la vérification des identités et des données financières de crédits des clients des banques en ligne et des fintechs. Pourtant, cette transition à marche forcée, qui permet à l’Afrique un bond numérique grâce à l’intelligence artificielle, demeure très contrainte en raison des réticences des financeurs. À bien des égards, l’époque de la prise de risque semble révolue : cette année, les deux autres lauréats d’Africatech sont Reme‑D, une société de technologie médicale égyptienne déjà confirmée qui développe et fabrique des systèmes de tests de diagnostic de maladies adaptés à des environnements à faibles ressources, ainsi que Plentify, société pionnière en matière de gestion de l’énergie domestique basée en Afrique du Sud et aux États‑Unis.

Financements contraints

« Nous avons eu l’impression que pour les financements, comme pour l’attention donnée, ou encore les entreprises qui viennent un peu soutenir l’écosystème start‑up, il y avait plusieurs mondes : l’Afrique du Nord, l’Afrique du Sud, l’Afrique de l’Est et celle de l’Ouest. Et après, il y a les autres », soupire Luc Missidimbazi. Ce conseiller en technologies numériques auprès du Premier ministre de la République du Congo a fondé la plate‑forme OSIANE pour promouvoir les start‑up des pays d’Afrique centrale, « des petites populations de moins de 10 millions d’habitants avec des économies dépendant souvent des richesses minières et pas toujours compétitives, que l’on a tendance à oublier ». Un véritable défi pour lequel il a initié il y a quatre ans le Challenge bassin du Congo, financé en grande partie par le secteur privé. Il permet d’inviter quatre start‑up lauréates originaires du Congo, de RDC, de RCA, du Gabon ou du Cameroun à VivaTech, ainsi qu’au CES de Las Vegas. L’exemple est emblématique du virage qu’entreprennent désormais des acteurs de l’écosystème start‑up africain pour se désengager de la dépendance à l’égard de l’argent public du développement. La fin des subventions de l’État américain représentées par la manne USAID pèse lourdement sur le financement des start‑up africaines. Il a été révélé que certaines comptaient sur cet argent pour 75 % de leur budget opérationnel. Pour Ikechukwu Anoke, P.‑D.G. et cofondateur de la start‑up kényane de la santé Zuri Health, cette rupture « pourrait être l’occasion de réfléchir au‑delà des subventions : comment bâtir des entreprises durables et progresser vers la rentabilité ? » Autrement dit, l’appétit persistant de l’Afrique pour des technologies de solutions pratiques et les spécificités de l’écosystème des start‑up du continent représentent une opportunité, d’autant que « les besoins de nos start‑up en local, en Afrique, ce ne sont pas des besoins qui sont forcément à coups de milliards », souligne Luc Missidimbazi. Avec des tours de table modérés, mais aussi un champ économique moins dominé par la régulation que les marchés occidentaux, « l’opportunité réside dans les solutions locales, insiste Ikechukwu Anoke, dans la manière de mobiliser les ressources du continent, et dans la possibilité de commencer à poser des questions difficiles aux décideurs politiques et aux gouvernements sur ce qu’ils font des ressources qu’ils obtiennent pour réduire les coûts et le gaspillage ». Le revers de l’appel au marché du capital privé africain en pleine expansion pourrait aussi déboucher sur de nouvelles exigences de gouvernance. 

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