Italie : Le drame des immigrés exploités dans les entreprises agricoles

Italie : Le drame des immigrés exploités dans les entreprises agricoles

Le sociologue Marco Omizzolo

Rédigé par Ariel Dumont

Modifié le 22 novembre 2024

La publication d’un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a relancé le débat sur les conditions de vie des immigrés en Italie, notamment dans le secteur agricole. 

Un mois après avoir été élu le 25 septembre 2022 à l’occasion des législatives, Aboubakar Soumahoro avait fait une entrée fracassante au parlement italien chaussé d’une paire de bottes en caoutchouc couvertes de boue. L’objectif de cet Ivoirien arrivé à l’âge de 19 ans dans la péninsule à la fin des années 90, et naturalisé depuis, était de rendre hommage aux travailleurs agricoles étrangers exploités et humiliés quotidiennement par leurs employeurs. « Nous apportons au parlement les bottes portées par les travailleurs émigrés qui foulent la boue de la misère », avait déclaré le seul député noir de l’assemblée.  

L’esclavage moderne 

 Depuis plusieurs années, les conditions de travail et de vie des immigrés sont ponctuellement dénoncées. En octobre dernier, un rapport publié par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a enfoncé le clou en parlant de mise en place d’un racisme institutionnel depuis l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Pour le sociologue Marco Omizzolo, qui vit sous protection policière depuis des années, l’ECRI a bien mis le doigt dans la plaie. « Avec l’extrême droite qui a renforcé le cadre normatif introduit par les gouvernements précédents de centre gauche, la situation a effectivement empiré. La consolidation des formes de racisme, de xénophobie, endoctrinées par un certain langage médiatique et politique a renforcé la discrimination ». Discrimination, le mot est lâché et décrit notamment la situation des travailleurs agricoles souvent irréguliers et confrontés à l’indifférence et à l’intolérance grandissante de la population en Italie. Selon le dernier rapport rédigé par le centre d’études et de recherches IDOS, quelque 362 000 travailleurs d’origine étrangère, dont 17 % de jeunes Africains originaires notamment de la bande du Sahel, de l’Érythrée, du Mali, du Niger, de la Côte d’Ivoire, étaient déjà employés dans le secteur agricole en 2022. Une autre étude publiée par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), estime que 450 000 personnes, dont 80 % d’origine étrangère et 20 % d’Italiens, travaillent dans ce secteur dans des conditions épouvantables. « On estime que 235 000 travailleurs agricoles italiens et étrangers vivent actuellement dans des conditions d’esclavage moderne », affirme Marco Omizzolo. 

Ni protection sociale ni sécurité

Ce chercheur connaît bien le dossier pour avoir travaillé sous couverture dans des exploitations situées aux portes de Rome afin d’enquêter sur le système. « Les immigrés, les adultes mais aussi les mineurs âgés de 9 à 17 ans, habitent dans des bidonvilles insalubres ou dans des bâtiments abandonnés, ils n’ont pas de protection sociale, pas de sécurité de l’emploi et travaillent entre 14 et 16 heures par jour toute l’année pour un salaire mensuel inférieur à 1 000 euros », détaille Marco Omizzolo. Ils sont recrutés dans les bidonvilles par les « caporaux », pour la plupart eux‑mêmes des immigrés, qui servent d’intermédiaires entre les patrons et les futurs employés, et travaillent également dans les champs comme surveillants, mais aussi par les circuits d’accueil en cheville avec les agriculteurs. Et les accidents se multiplient en raison du manque de sécurité. « Certains meurent d’un infarctus en raison de la charge trop importante de travail, d’autres tombent dans les serres ou se blessent et ont peur d’aller à l’hôpital, car ils perdraient leur travail et ne pourraient plus rembourser l’argent de leur voyage », confie le sociologue. 

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