Agroalimentaire : l’Afrique opte pour les circuits courts et la transformation locale

Le Salon international de l’agroalimentaire (SIAL) vient de se conclure à Paris. Un rendez‑vous important où l’Afrique commence à faire une entrée remarquée.
Cette édition du Salon international de l’agroalimentaire est décidément particulière. Cette année, les atouts de 7 500 exposants venus de 200 pays n’ont pas occulté un acteur habituellement plus discret sur ce salon : l’Afrique. Le continent va bientôt représenter les deux tiers de la croissance démographique mondiale et « c’est un vrai défi de structuration de la filière agricole et de l’industrie agroalimentaire pour assurer la souveraineté alimentaire à l’horizon 2050‑2060 », a noté l’un des représentants du SIAL en ouverture d’un après‑midi de tables rondes consacrées à l’Afrique.
Les circuits courts au secours de la sécurité alimentaire
Au menu, Nicolas Bricas, chercheur au CIRAD, a tenu à évoquer ce qu’il perçoit comme des réalités trop souvent sous‑estimées du quotidien alimentaire des Africains : dans un contexte de croissance des villes africaines deux à trois fois supérieure à celle que l’Europe a connue au cours des derniers siècles, l’épisode COVID‑19 a permis d’entrevoir une évolution décisive. « Des filières d’approvisionnement à partir de la production locale et en termes de microentreprises se sont organisées : elles ont réussi à nourrir des villes dont la croissance explosait ». Pour chaque million d’Africains, 27  à 35 000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail, et 80 % de ces nouveaux entrants sont absorbés par le système alimentaire. « Ce sont ces circuits courts qui ont sauvé les villes africaines », a confirmé Kako Nubukpo, ancien commissaire agriculture, ressources hydrauliques et environnement à l’Union économique et monétaire ouest‑africaine. Et de poursuivre : « Or, ces circuits ne sont pas valorisés par les politiques publiques, pourtant l’agriculture maraîchère et tout ce qui se passe à la périphérie des villes est fondamental ». La dépendance alimentaire de l’Afrique serait-elle un mythe ? Pas tout à fait, cependant : « nous ne pourrons pas garder les niveaux d’importation des produits alimentaires qui sont les nôtres à l’heure actuelle. En tant que commissaire à l’Union économique et monétaire ouest‑africaine, je vois bien au niveau des balances des paiements ce que nous coûtent les importations de riz : pour un pays comme le Sénégal, c’est faramineux. Ce n’est pas possible, et donc il faut produire plus ». Pour cet économiste de formation spécialiste du coton, cela doit nécessairement passer par l’amélioration des semences, avec des variétés mieux adaptées au changement climatique. Des investissements complexes à mettre en œuvre, alors qu’« aucune banque africaine ne fait de crédit au secteur agricole, car c’est trop risqué », a‑t‑il rappelé.
Des solutions apportées par le développement et le secteur privé
Cet enjeu du tarissement du crédit dans les secteurs agricole et agroalimentaire, les acteurs du développement s’en sont emparé depuis quelques années. C’est le cas par exemple de Prosper Cashew, une initiative financée par le ministère américain de l’Agriculture (USDA) pour développer la transformation locale des noix de cajou jusque‑là entièrement réalisée en Inde et au Viêt Nam. Pour ce faire, le projet investit dans l’African Guarantee Fund qui accorde des prêts aux transformateurs locaux dans les pays africains producteurs. À la clé, la fin de l’obligation de déplacements internationaux de matière brute. « Nous contribuons ainsi à réduire l’empreinte carbone de cette production », a souligné Krishanu Chakravarty, responsable du développement chez Prosper Cashew. Cet impératif de transformation locale est également au cœur des préoccupations de Victor Nono, président d’Asfood, un producteur de mini usines modulables pour la transformation en jus et purées sur les lieux de récolte : « ce sont des usines qui peuvent être déplacées d’une région à une autre, explique‑t‑il. Nous travaillons depuis la Côte d’Ivoire pour déployer cette solution en Afrique, car le besoin existe, du nord au sud ». Pour avancer efficacement, le continent va cependant devoir rapidement surmonter deux obstacles clés, qui sont le flottement constaté ici et là dans la maîtrise des comptes des TPE africaines nécessitant fréquemment un renforcement des capacités, mais aussi les défis de la normalisation : « il y a un enjeu de normalisation par rapport à ce que le marché exige en termes de traçabilité : la vendeuse de beignets d’Abidjan ne vend pas sur le marché européen. Ce qui peut être hyper complexe si on veut exporter vers l’Union européenne peut ne pas l’être si on veut exporter vers les pays de la sous‑région », insiste Kako Nubukpo. Effectivement, « le marché européen nécessite une approche et une préparation minutieuses pour les entreprises africaines », rappelle Albane Coulange, directrice qualité de la société Racines qui supervise l’arrivée en Europe de 75 conteneurs de produits agricoles par an. Le secret ? Un accompagnement technique et financier au quotidien par les 30 employés de Racines qui s’appuient sur des techniciens locaux détachés pour « assurer un travail de formation, de la culture au produit fini, de suivi des bonnes pratiques au niveau de la culture, du process, du contrôle de qualité, de la traçabilité, et aussi un accompagnement pour l’établissement des documents commerciaux et de comptabilité ». Sans compter un accompagnement financier pour satisfaire à toutes les exigences européennes. Car, il ne faut pas l’oublier : pour l’Afrique, la traçabilité alimentaire représente un coût élevé.

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