Pékin affine sa stratégie en Afrique

Pékin affine sa stratégie en Afrique

“Il ne s’agira pas forcément pour Pékin d’exporter son modèle politique, mais beaucoup plus de pousser à l’émergence de nouveaux modèles politiques.”, crédit: Unsplash

Rédigé par Laurence Soustras

Modifié le 12 septembre 2024

Le Forum on Africa‑China Cooperation (FOCAC) était cette année particulièrement bien rempli : l’Afrique s’était déplacée en masse à Pékin pour ce neuvième forum sur la coopération sino‑africaine. Au programme, les contours d’une relation qui ne cesse de se renforcer et joue un rôle majeur dans la concurrence entre la Chine, les États‑Unis et la Russie sur le continent africain.

Absence du président de l’Angola, étrange isolement du président nigérian Bola Tinubu dans la photographie officielle : le FOCAC 2024 n’a pas manqué de susciter son lot d’interrogations sans réponse. Mais au total, à l’issue d’un ballet diplomatique particulièrement effréné, l’Afrique est repartie avec un engagement chinois de 50 milliards de dollars sur trois ans. Cela représente un accroissement d’environ 25 % par rapport au dernier FOCAC, qui avait vu une baisse de l’engagement de Pékin à l’égard du continent. Dans le détail, on dénombre le triplement de lignes de crédits, à 30 milliards de dollars, et un volet conséquent d’investissements sur le continent. De quoi exacerber les concurrences entre les pays, mais aussi susciter de faux espoirs : « La question essentielle est celle de savoir comment, quels sont les mécanismes qui seront mis en place par les gouvernements africains et la Chine pour pouvoir voir dans quelle mesure ces enveloppes‑là seront réparties sur différents projets », estime Christian‑Geraud Neema, analyste au Projet Afrique Chine. Et d’ajouter : « Dès lors que vous avez des entreprises privées minières en Chine qui investissent des milliards de dollars dans des pays comme la République démocratique du Congo, ce montant sera très facilement atteignable au bout de trois ans. »

DÉFICIT COMMERCIAL

Ceci explique peut‑être que certains leaders réclament d’autres garanties. Face au déficit commercial de 64 milliards de dollars de la Chine envers le continent africain, le président sud‑africain Cyril Ramaphosa a ainsi demandé que soit examinée « la question de la structure de ce déficit » et a plaidé pour des investissements davantage tournés vers la fabrication et la création d’emplois. La Chine s’est engagée à lever ses tarifs douaniers pour 33 pays africains à faibles revenus et à créer 1 million d’emplois en Afrique. Pourtant, estime Christian‑Geraud Neema, « la réalité est telle que beaucoup de pays africains ne sont pas en mesure de fabriquer des produits qui sont de nature à être attractifs pour le marché chinois. Et je pense que c’est ça le véritable défi aujourd’hui : créer une diversification économique, une industrie manufacturière forte en Afrique, telle qu’elle puisse fabriquer des produits qui sont attractifs et qui peuvent entrer sur le marché chinois. » Selon la chercheuse Jana De Kluiver, de l’Institute for Securities Studies (Afrique du Sud), on peut aussi se poser la question de savoir si les projets qui intéressent les investisseurs chinois peuvent bien s’insérer dans les priorités africaines : « pour maximiser l’impact des investissements FOCAC, les pays africains doivent aligner leurs efforts avec l’agenda 2063. FOCAC soutient ces objectifs en théorie, mais les nations africaines doivent s’assurer que les accords bilatéraux avec la Chine sont alignés avec les cadres continentaux, comme la zone de libre‑échange continentale africaine ou encore les projets d’infrastructures régionaux. » 

TAZARA CONTRE LOBITO ?

Pour l’heure, certains projets semblent surtout répondre aux besoins de Pékin et à la concurrence géopolitique que se livrent la Chine et les États‑Unis sur le continent. C’est ainsi que le Forum a vu la signature d’un accord estimé à 1 milliard de dollars pour la rénovation et la finalisation d’une ligne de chemin de fer permettant d’exporter du cuivre de la Zambie à la Tanzanie. Ce projet Tazara est vu comme la réponse au projet du corridor Lobito, soutenu par les États‑Unis et l’Europe, qui vise à relier les régions du sud de la République démocratique du Congo et du nord‑ouest de la Zambie à l’Atlantique via l’Angola : « Tazara va poser un vrai problème au projet Lobito, souligne Christian‑Geraud Neema, parce que jusque-là, le gros des minerais qui viennent de RDC et de Zambie sont exportés non seulement en Chine, mais aussi vers les pays d’Asie du Sud‑Est et jusqu’en Arabie Saoudite et au Qatar. C’est là que passe le gros des transactions minières dans la région. Donc, si le chemin de fer du Tazara entre en opération et que le port de Dar es‑Salaam qui le connecte est aussi mis à niveau, il sera difficile pour les compagnies minières qui exportent déjà leurs matières premières en direction de l’Asie du Sud‑Est de pouvoir utiliser le chemin de fer de Lobito et le port de Lobito sur la côte atlantique, tant qu’il n’y aura pas de débouché industriel de ces minerais vers l’Europe ou les États‑Unis. » Un calcul chinois assez machiavélique qui fait écho à la stratégie politique et militaire mise en œuvre lors du Forum : la Chine a annoncé une assistance militaire à l’Afrique et formera 6 000 soldats ainsi qu’un millier de policiers. Le Sénégal a indiqué qu’un projet d’académie de maintien de la paix était également sur la table. À cet égard, la proposition de Pékin d’accueillir et de former les cadres politiques africains semble aux yeux de plusieurs analystes plus significative que les annonces économiques du Forum : en proposant une alternative à un modèle démocratique dont l’Occident s’est fait le champion, la Chine pousse un peu plus en avant ses pions vers la définition d’un nouvel ordre mondial. Pour Christian‑Geraud Neema, « il ne s’agira pas forcément pour Pékin d’exporter son modèle politique, mais beaucoup plus de pousser à l’émergence de nouveaux modèles politiques. Quitte à ce que ceux‑ci ne soient pas la réplique des modèles occidentaux que l’on voit dans les démocraties libérales. Pour la Chine, c’est l’élément central pour pouvoir aujourd’hui casser les normes internationales, pour dire qu’il n’y a pas d’universalité de mode de gouvernance pour atteindre la modernisation. »