La raffinerie du milliardaire Dangote bouscule le statu quo énergétique au Nigéria

L’installation Dangote de Lagos, la plus importante du continent, a commencé à raffiner du pétrole. Mais ses débuts, en phase expérimentale, ont alimenté des tensions avec le gouvernement et les régulateurs nigérians, mettant en lumière l’immobilisme d’un secteur énergétique qui draine l’économie.
« C’est le moment d’en finir avec les subventions à l’essence » : l’appel, depuis Londres, du milliardaire nigérian Aliko Dangote sonne presque comme un ultimatum pour le statu quo énergétique du premier producteur africain de pétrole. Le milliardaire nigérian a fait fortune dans le ciment avant de finaliser la construction de la grande raffinerie de Lagos, un projet de 20 milliards de dollars d’une capacité de plus de 600 000 barils par jour : un événement presque révolutionnaire dans un pays gros producteur de pétrole qui pour l’instant doit importer du carburant à des prix internationaux et le subventionner pour le mettre à la portée des Nigérians. Le projet Dangote fait rêver les tenants de l’indépendance énergétique de l’Afrique, mais depuis qu’il est sur le point de se finaliser, les obstacles ne cessent de s’amonceler, les tensions s’enflamment et les gants blancs ont été jetés depuis longtemps.
UN ÉCOSYSTÈME BIEN ÉTABLI
À l’origine de ce véritable nid de guêpes, la structure très particulière du secteur énergétique nigérian. Le pays, qui dispose de réserves pétrolières considérables, a toujours peiné à les exploiter en raison d’une insécurité persistante qui pesait sur les investissements, ainsi que du désintérêt croissant des compagnies pétrolières internationales, refroidies par des incertitudes de transferts d’actifs. La stagnation de la production – le pays ne parvient pas à remplir son quota O.P.E.P. – a abouti à des importations conséquentes et, en retour, à une fragilisation croissante de la monnaie nationale, le naira. Les importations d’essence, de fuel et de diesel sont au cœur d’un système opaque qui s’appuie sur des subventions et est dominé depuis des décennies par une corruption systémique.
C’est dire que la mise en service de la raffinerie Dangote suscite les inquiétudes d’un écosystème centralisé bien établi et qui n’a guère intérêt à faciliter les débuts d’une méga‑installation privée, sorte d’ovni dans le paysage énergétique national. « Les produits pétroliers consomment environ 40 % de nos dépenses en devises », a souligné Aliko Dangote, indiquant que sa production avait la capacité de stabiliser le naira. Encore faut‑il trouver le pétrole à raffiner : dès juillet, le milliardaire s’est plaint que les compagnies pétrolières internationales opérant au Nigeria ne parvenaient pas à approvisionner la raffinerie, préférant exporter vers l’étranger. « Ils y sont habitués et personne ne veut s’arrêter d’exporter », déclare‑t‑il alors. Mais pour l’analyste nigérian Toyin Akinosho, spécialiste de la question du pétrole, « la raffinerie a une capacité de 650 000 barils par jour si elle opère à pleine capacité, ou autour de 85 à 90 % cela fait 560 000 barils, c’est la moitié de ce que le pays produit, et la plupart de ce brut est déjà vendu par contrat par les compagnies productrices ; il n’y a tout simplement pas de capacité excédentaire pour Dangote ».
CARBURANTS SALES ?
Au début de l’été, la tension est encore montée d’un cran : des accusations ont surgi dans les médias nigérians sur des tentatives supposées du régulateur national de l’industrie pétrolière (Nigerian Midstream and Downstream Petroleum Regulatory Authority, ou NMDPRA) de refuser de laisser la raffinerie prendre sa place dans l’approvisionnement du pays. Le régulateur a laissé planer le doute sur la forte teneur en soufre supposée des carburants de la raffinerie, et s’en est suivie une empoignade générale dominée par une accusation centrale de Dangote : la société publique NNPC, unique importatrice, aurait développé une stratégie pour accorder des licences à des distributeurs qui importent du diesel à forte teneur en soufre depuis la Russie pour le disséminer sur le marché nigérian. Et d’accuser la NNPC et les négociants internationaux de collusion pour créer des pénuries et importer des carburants, y compris des produits mélangés considérés comme polluants ou de qualité inférieure. « Ce n’est pas seulement de la rivalité. C’est du sabotage économique », a déclaré Devakumar Edwin, vice‑président de Pétrole et Gaz chez Dangote Industries Limited. Personne n’est sorti indemne de la dispute, après que la section nigériane des Anonymous a mis sur la place publique sa propre recherche, y compris les intérêts pétroliers de membres de la famille du président du pays, Bola Tinubu. Pendant l’été, les autorités nigérianes se sont engagées à vendre du pétrole en devises locales à la raffinerie Dangote. Mais cela n’améliorera pas immédiatement le climat de défiance généralisée entre les différentes parties prenantes du secteur et n’apportera pas non plus la réponse à la question cruciale du prix que les Nigérians auront à payer pour leur essence. Selon Toyin Akinosho, « cette idée selon laquelle le fait d’avoir une usine de transformation dans votre pays signifie que vous pouvez acheter du carburant à bas prix, la meilleure façon d’y répondre est de considérer le fait que le coût principal du raffinage du brut est le coût du brut lui‑même. Or, nous achetons le brut à 80 dollars. » En attendant l’essence abordable pour tous chez le premier producteur pétrolier africain, une chose est sûre : les Nigérians devront encore se passer des normes environnementales élémentaires. Les analyses de l’O.N.G. Stakeholder Democracy Network (SDN) effectuées en 2021 concluaient que les niveaux de soufre contenu dans les carburants de Lagos et du delta du Niger étaient 40 fois supérieurs à la limite légale.
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