Mines africaines : les États misent sur l’émancipation

Mines africaines : les États misent sur l’émancipation

Kizito Kapinga Mulume, ministre des Mines de la République démocratique du Congo (à gauche) s’apprête à prendre la parole au sommet Mining on Top Africa crédits : LS

Rédigé par Laurence Soustras

Modifié le 18 juillet 2024

Après la dénonciation de l’asservissement de la production minière africaine aux intérêts qui l’exploitent, plusieurs pays du continent commencent à détailler les axes d’un nouveau chapitre.

 

Inverser les rapports de force entre l’Afrique et les intérêts économiques qui exploitent ses richesses minières : une nouvelle fois, l’objectif était criant au sommet Mining on Top Africa qui s’est tenu à Paris la semaine dernière. Mais, changement notoire, l’évolution politique sur le continent est aussi en train d’accélérer la tendance et d’en dessiner les contours. Exemple avec le Sénégal, riche en or, fer, phosphate et zircon, dont le nouveau président Bassirou Diomaye Faye a évoqué très rapidement après son élection un audit des contrats passés dans les secteurs des mines et de l’énergie. En ouverture du sommet, son ministre de l’Énergie, du pétrole et des mines Biram Soulèye Diop n’a pas exclu la renégociation de certains contrats miniers pour assurer un meilleur partage des revenus qui pourrait bénéficier à la population locale, ajoutant qu’il n’hésitera pas non plus à y inclure dans une certaine mesure la concurrence internationale : « Je ne voudrais pas me limiter à l’Europe. Il faut tirer les bénéfices partout dans le monde ! C’est vrai, je suis venu à Paris, mais si mon intérêt est en Arabie saoudite, j’irai méchamment le chercher là‑bas ! », a-t-il souligné. Et Ngagne Demba Touré, directeur général de la Société des mines du Sénégal (Somisen), de préciser : « Dans les faits, nous entendons changer le modèle contractuel en sortant d’une logique financière de rente pour rentrer dans une logique économique, en créant des chaînes de valeur et en dirigeant la production vers les priorités des pays, la demande des marchés africain et mondial ». Pour y parvenir, l’État sénégalais entend occuper une place prépondérante, nouant systématiquement des « accords d’associés, de joint‑ventures », avec des composantes importantes de coexploration, coexploitation et coproduction. « Nous voulons une industrie de production de batteries de voitures », a-t-il déclaré, indiquant envisager « des partenariats avec les pays africains pour explorer des voies de production de véhicules électriques en Afrique »

 

UN CONTEXTE DÉFAVORABLE AUX INVESTISSEMENTS ?

Face à un parterre d’experts et de représentants de sociétés minières internationales, ce discours d’émancipation est loin d’être une posture, analyse Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Énergie et Climat de l’Institut français des relations internationales (IFRI) : « Je crois que ce que tout le monde ressent, c’est une volonté de lancer des investissements et des projets … pour développer le contenu local. Deuxièmement, on ressent tous une volonté de tous ces pays de se renforcer sur la chaîne de valeur, c’est‑à‑dire de ne pas être juste des exportateurs de rocs, mais aussi de capter une partie de cette valeur parce que ça crée des emplois. Et troisièmement, une volonté de s’émanciper d’une relation peut-être jugée trop contraignante avec les partenaires historiques, par exemple l’Europe, la France. » Pourtant, paradoxalement, les investisseurs étrangers se voient confrontés à une prise de risque croissante assortie d’une responsabilité sociétale et environnementale non négligeable. Kizito Kapinga Mulume, ministre des Mines de la République démocratique du Congo, a ainsi rappelé que « le code minier mis en place depuis 2002 demande aux investisseurs de remplir un rôle par rapport au développement des mines : elles ne doivent pas juste servir aux bénéfices de ceux qui viennent s’enrichir, mais aussi participer au développement des communautés locales ». Un argument partagé par de nombreux pays africains et qui peut laisser songeur sur les responsabilités d’un État régalien : « souvent ce que l’on observe, reprend Marc-Antoine Eyl-Mazzega, c’est que les États attendent des entreprises qu’elles se substituent aux États, c’est-à-dire que les entreprises doivent faire les routes, les ports, les écoles, les instituts de formation, les hôpitaux, alors que ce n’est pas leur rôle. Leur rôle, c’est de payer l’impôt et de s’assurer que ce taux d’imposition ne va pas changer tous les jours en fonction des aléas politiques et économiques. Et le rôle des États, c’est de construire le cadre. Or, malheureusement les États souvent sont absents ou défaillants et ne remplissent pas cette mission. Du coup, pour l’investisseur, c’est un risque qui peut malheureusement entraîner une situation de sous-investissement. » Cela même, alors que le prix des matières premières a baissé, tout autant que la disponibilité du crédit dans un contexte de remontée des taux d’intérêt. Pendant ce temps, sur le continent africain, la situation des infrastructures et notamment l’accès, crucial, à une électricité bon marché continuent de faire défaut. L’heure des investissements massifs dans le secteur minier africain n’est pas encore arrivée.

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