L’or, acteur clé du conflit au Soudan

Plus d’un an après le début de la guerre civile au Soudan, la contrebande d’or est le soutien financier majeur d’un conflit qui s’enlise.
C’est une guerre meurtrière et quasi invisible qui a débuté au printemps de l’an dernier entre l’armée du Soudan dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Mohamed Hamdane Daglo. On dénombre plus de 14 000 morts et 8 millions de déplacés qui se sont acheminés vers les pays avoisinants, notamment le Tchad. Selon les Nations unies, la moitié de la population, soit 25 millions de personnes, nécessite une aide alimentaire urgente. Dans plusieurs régions du pays, la famine est déjà là. Jusqu’à présent, les tentatives de médiation, principalement les négociations de Djedda impulsées par les États-Unis et l’Arabie Saoudite, n’ont pas abouti. Et ce mois-ci, une altercation au Conseil de sécurité des Nations unies entre les représentants du gouvernement soudanais et ceux des Émirats arabes unis ont jeté une lumière crue sur les ressorts cachés du conflit. « L’agression militaire lancée par les FSR soutenues par les armes fournies par les Émirats arabes unis est en train de cibler délibérément et systématiquement des villages et des villes », a déclaré au Conseil de sécurité Al-Harith Idriss Al-Harith Mohamed, ambassadeur du Soudan aux Nations unies, s’attirant un vif démenti de son homologue, l’ambassadeur émirati Mohamed Abushahab.
Or illicite et armes
Derrière l’échange se profile pourtant la réalité tenace d’un État soudanais défaillant, historiquement soutenu par le secteur de l’or, devenu au fil des années un enjeu majeur pour tous les protagonistes du conflit. Avant la guerre, le Soudan était le troisième producteur d’or africain derrière l’Afrique du Sud et le Ghana. Selon des chiffres officiels, il disposait d’une production de 107 tonnes en 2017, tombée à 41,8 tonnes en 2020, puis 2 tonnes en 2023. Il est estimé que la production réelle est de deux à trois fois supérieure et qu’une grande quantité d’or est commercialisée illégalement. L’armée et les paramilitaires comptent aujourd’hui sur cet or illicite écoulé à l’étranger pour continuer à financer l’effort de guerre. Les forces armées nationales se tournent vers l’Égypte où la crise économique intensifie la demande en or. Côté FSR, « l’or est accaparé par un homme seul, Mohamed Hamdane Daglo, un soldat de fortune devenu un mercenaire au service de forces étrangères, en particulier des Émirats arabes unis », selon Marc Lavergne, directeur de recherche au C.N.R.S.. De fait, même avant le conflit, le général Mohamed Hamdane Daglo, chef des FSR, dont les paramilitaires ont combattu en Arabie Saoudite aux côtés de troupes émiraties pendant la guerre civile du Yémen en 2016, contrôlait la production de plusieurs mines d’or – un secteur largement artisanal extrêmement polluant –, ainsi que de nombreuses sociétés d’exports. Depuis le début de la guerre, il a encore étendu son emprise sur la production aurifère de la région du Darfour. Sans oublier, a rappelé Ahmed Soliman, chercheur dans la corne de l’Afrique pour le Programme Afrique de Chatham House, qu’au début de la guerre, « le FSR a pris le contrôle de la raffinerie d’or de Khartoum, y compris du stock estimé valoir entre 150 000 et 200 000 dollars, ainsi que des possessions d’or de la population civile et des banques commerciales ». Au bout du compte, résume Marc Lavergne, « la situation a permis aux FSR de mettre la main, non pas directement sur les gisements, mais sur les orpailleurs en les taxant, en les protégeant, entre guillemets, de façon mafieuse, en prélevant l’or, en l’expédiant aussi directement à Dubaï où il est raffiné. Et de là, il part en Suisse. Il y a tout ce circuit qui contourne la banque centrale soudanaise. Donc le Soudan ne gagne rien dans cette affaire et les orpailleurs gagnent de quoi survivre, pas plus. » En janvier, les Émirats arabes unis avaient nié toute implication dans le conflit après leur mise en cause dans un rapport des Nations unies. Les témoignages et allégations selon lesquels les FSR utilisent l’or pour financer leur effort de guerre et se fournir en armes auprès des Émirats arabes unis via des pays tiers comme le Tchad avaient été jugés « crédibles » par l’organisation internationale. En juin, le Conseil de sécurité des Nations unies a demandé aux pays impliqués de « s’abstenir de toute interférence qui nourrirait le conflit et l’instabilité », tout en rappelant aux « pays membres qui facilitent les transferts d’armes et de matériel militaire au Darfour leurs obligations de se soumettre aux mesures d’embargo sur les armes ».
À voir aussi

Cosmétique beurre de karité made in Burkina
À Ouagadougou, le laboratoire Odiss Cosmétiques redonne vie aux peaux abîmées grâce à des ingrédients naturels 100 % locaux : beurre de karité, huile de neem, huile de baobab… Fondée par Denise Odette Konseiga, ancienne auxiliaire en pharmacie, cette entreprise made in Burkina s’impose comme une référence de la cosmétique réparatrice et responsable, dans un marché longtemps dominé par l’importation. 300 femmes mobilisées en coopératives, des gammes certifiées bio, une présence à l’international : Odiss mise sur le savoir-faire local et l’autonomisa Journaliste : Sonia KOCTY

Les start-up africaines préparent l’après-aide au développement
Cette année, le recul de l’aide américaine pèse sur l’environnement du financement des start-up africaines, une préoccupation qui ne les a pas détournées du salon VivaTech 2025, où étaient présents plusieurs pavillons nationaux du continent.

La littérature jeunesse africaine relie les enfants à leurs racines
Autrefois importés depuis l’Europe, les livres jeunesse intéressent de plus en plus les maisons d’édition africaines, qui ont à cœur de proposer des histoires ancrées dans la réalité des enfants. Mais malgré cet essor, les difficultés persistent.

Entretien avec Trésor Ebamu Fankana, analyste politique
En République Démocratique du Congo, la transplantation d’organes reste largement non encadrée et très peu pratiquée. L’analyste politique et expert de la lutte contre la traite des personnes Trésor Ebamu Fankana appelle à un débat public et à une réforme juridique pour encadrer le don, le prélèvement et la transplantation d’organes. Dans cet entretien, il revient sur son livre Il faut qu’on en parle et alerte sur les risques liés à l’absence de cadre légal dans un contexte marqué par l’insécurité, la pauvreté et des vides juridiques. Journaliste : Alexandra Vépierre