Cuisine propre en Afrique : un enjeu complexe et multifacette

Cuisine propre en Afrique : un enjeu complexe et multifacette

Rédigé par Laurence Soustras

Modifié le 23 mai 2024

En Afrique, environ 1 milliard de personnes utilisent des brasiers ou de simples fours alimentés au bois pour préparer les repas. Ce mode de cuisson qui soulève des enjeux environnementaux, énergétiques et de santé publique vient de faire l’objet d’un sommet à Paris. D’importants engagements financiers ont été mis sur la table.

« Elles marchent quotidiennement le dos voûté sous le poids du bois qu’elles ont collecté et qu’elles ramènent à la maison au bout de plusieurs heures, pour confectionner un repas que nous, nous considérons comme acquis… En Afrique, nous perdons chaque année 600 000 femmes et enfants, victimes d’accidents liés à ce type de cuisson ». Devant le sommet Cuisine propre en Afrique (Clean Cooking in Africa) qui rassemblait ce mois-ci plus de 1 000 délégués, le président de la Banque africaine de développement Akinwumi Adesina n’a pas hésité à évoquer son passé personnel d’enfant nigérian en quête de bois pour alimenter le four familial, ni le traumatisme d’avoir perdu jeune une amie qui avait tenté d’utiliser du kérosène pour cuisiner. Morts prématurées, maladies respiratoires, perte d’opportunités d’accès à l’éducation pour les jeunes filles : l’enjeu de la cuisine propre est avant tout sociétal pour des millions d’enfants et de femmes aux fourneaux. La présidente de la Tanzanie Samia Suluhu Hassan a d’ailleurs déjà mis en place une stratégie nationale sur dix ans qui vise à assurer que 8 % des Tanzaniens auront accès à la cuisine propre d’ici la fin de l’année. L’assemblée, composée de plusieurs délégations gouvernementales, ministres, chefs d’État, représentants d’O.N.G. et de sociétés comme TotalEnergies ou Vitol, n’avait pas besoin d’une grande force de persuasion. Dès la fin de la matinée, Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui avait organisé le sommet, dénombrait des engagements de 2,2 milliards de dollars. La Banque africaine de développement a indiqué qu’elle consacrerait en plus 20 % de ses investissements en énergie à des solutions de cuisine propre, soit 2 milliards de dollars au cours des dix prochaines années.

L’heure des choix

C’est maintenant l’heure de la transformation de ces engagements en solutions et cela implique inévitablement des choix énergétiques. L’accord final de la COP 28 a fait état d’une sortie progressive des énergies fossiles que les institutions financières deviennent d’ailleurs réticentes à favoriser dans leurs investissements. Pourtant, Faure Gnassingbé, président de la République du Togo, a affirmé : « la cuisson par solution G.P.L. que je considère la plus efficace, à la fois pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et en termes de facilité d’utilisation, devrait constituer 70 % des développements en cuisine propre au cours des prochaines années ». Il a par ailleurs admis que la solution des cuisinières électriques est intéressante, mais elle réclame des réseaux de distribution d’électricité de haute qualité, et « c’est un défi dans nos pays », ajoute-t-il. Soulignant que l’Afrique doit avancer soudée dans ses choix, la présidente Samia Suluhu Hassan a insisté, disant que « le rôle clé du gaz dans la transition à l’énergie propre doit être reconnu ». Tout aussi inévitable sera la nécessité d’implication des pouvoirs publics, compte tenu de la perspective de réduction considérable d’émissions des gaz à effet de serre qu’offrent les solutions de cuisine propre. Pour Faure Gnassingbé, cette implication devra prendre la forme de subventions, aussi bien pour l’achat de kits de cuisson destinés aux ménages à faibles revenus, que pour assurer la stabilité des prix du G.P.L. et maîtriser la volatilité des cours, seules garantes du maintien des ménages sur la voie de la cuisine propre.

L’opportunité des marchés du carbone

Les possibilités de financement de cette transition de cuisine propre par les crédits carbone sont bien sûr en filigrane de tout le débat. Au Kenya, Burn, un producteur de cuisinières, a réussi à subventionner le prix de ses produits en vendant 37 millions de dollars de crédits sur le marché du carbone. Mais le marché volontaire des crédits carbone a été affecté par plusieurs gros scandales. Au point que, l’an dernier, un lanceur d’alerte a signalé des activités de manipulation, de comptabilité double, de déclarations frauduleuses, entre autres activités répréhensibles, à la Commission américaine des contrats à terme sur les matières premières. En conséquence, davantage de régulation et de contrôle sont attendus de la part des autorités : « pas une seule compagnie ne va aller volontairement dans un mécanisme qui va les mener droit au procès, juste pour essayer d’améliorer les choses », a souligné Andréa Abrahams, directrice d’International Emissions Trading Association (IETA). S’assurer de la fiabilité et du sérieux des projets entrepris localement sera aussi une priorité pour les autorités nationales si elles veulent ramener durablement les investisseurs vers les marchés du carbone. « Nous avons besoin que les développeurs de ces projets fassent un bon travail et nous avons besoin que les investisseurs payent pour cette qualité de travail », a indiqué Donee Alexander, l’une des responsables de l’Alliance pour la cuisine propre. Or, la difficulté d’une approche globale provient également de la disparité d’avancement des pays en fonction de leurs priorités. Au Nigeria, la priorité a été donnée au développement du solaire, au détriment d’une amélioration des modes de cuisson. Au Ghana, pays où la proportion d’utilisation de modes de cuisson propres est la plus élevée en Afrique de l’Ouest, 40 % des foyers sont équipés. « Les partenariats internationaux et l’innovation apportée par le secteur privé pour la mise sur le marché d’équipements abordables sont des nécessités », a souligné la femme politique ghanéenne Hajia Samira Bawumia, épouse du vice-président du pays. « Surtout, a-t-elle martelé, les engagements doivent se concrétiser et être suivis d’actions sur le continent ». Fatih Birol a promis que son institution suivrait les engagements pris lors du sommet et publierait chaque année un compte-rendu de leur concrétisation.

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