Conférence mondiale du cacao pour une filière en crise
La Conférence mondiale du cacao s’est conclue à Bruxelles sur un constat unanime : la nécessité d’améliorer les revenus des planteurs et une meilleure prise en compte des coûts environnementaux et sociaux du secteur, alors même qu’il traverse une crise inédite.
« C’est la panique à bord » : pour un connaisseur du secteur du cacao, c’est du jamais vu. Les cours des marchés à terme qui avoisinaient encore récemment moins de 2 500 dollars la tonne en sont maintenant arrivés à dépasser allègrement les 10 000 dollars. Une mauvaise affaire pour les industriels du chocolat dépendants de la précieuse matière première. Mais aussi pour plusieurs pays engagés dans des contrats conclus il y a plus d’un an. Les deux plus gros producteurs, le Ghana et la Côte d’Ivoire où le prix payé aux cultivateurs est régulé, ont vu les cacaoyers frappés par une maladie. La production a fortement décliné, attisant la hausse des cours, puis leur flambée, après l’arrivée des fonds spéculatifs attirés par le rallye de la fève brune. Aujourd’hui, si certains pays producteurs comme le Cameroun bénéficient de cette manne, ce n’est pas le cas des planteurs ghanéens et ivoiriens dont les prix sont fixés. Quant aux acteurs internationaux du cacao, ils vivent un quotidien incertain de reports de contrats, d’appels de marges, d’actions judiciaires, voire de faillites.
Payer plus ?
C’est dans ce contexte très tendu que les participants de la filière se sont retrouvés en début de semaine à Bruxelles pour une conférence mondiale au thème encore impossible à envisager il y a quelques années : « Payer plus pour un cacao durable ». Car les temps ont changé : la Conférence mondiale du cacao de 2018 avait insisté sur le travail des enfants dans les plantations, alors estimé concerner 1,5 million d’enfants au Ghana et en Côte d’Ivoire. Si la crise sanitaire du COVID-19 a aggravé le phénomène, l’attention se porte aujourd’hui sur le lien direct entre les revenus des planteurs et les standards environnementaux et humains. Le triplement du prix des engrais en liaison avec la guerre russo-ukrainienne, les maladies du cacao et la baisse de production en conséquence sont autant de facteurs qui ont affecté négativement le revenu des planteurs du Ghana et de la Côte d’Ivoire, en dépit d’une augmentation récente de 50 % du prix bord champ [lors de la vente par le producteur directement sur le lieu de production NDLR] dans les deux pays. Ces planteurs ne gagnent pas plus de deux dollars par jour et ils ne bénéficient globalement que de 6 % des 120 milliards de dollars que génère l’industrie du cacao et du chocolat. Il s’agit donc, selon l’expression de Michel Arrion, directeur exécutif de l’Organisation internationale du cacao, de « partager sa marge ». Mais le problème, a insisté Philippe de Selliers, président de Choprabisco, l’Association royale belge des industries du chocolat, de la praline, des biscuits et de la confiserie, c’est que « tout le monde veut du cacao durable, mais très peu veulent payer plus pour cette durabilité. »
Pour un prix minimum
Or, le 1er janvier 2025, une réglementation européenne interdira l’importation de plusieurs produits, dont le cacao, s’ils sont liés à la déforestation ou au travail des enfants. « La réglementation européenne apporte un surcroît de volume de travail au niveau des pays producteurs de cacao et au niveau des planteurs, c’est certain, cela apporte un travail additionnel… qui sera payé par qui ? C’est une question. Et je pense que c’est là où la création de valeur est importante, parce que tout ce travail supplémentaire généré doit être payé et il ne pourra se payer qu’en montrant une valeur additionnelle par rapport au produit standard », souligne Sylvestre Awono, directeur du groupe cacao, chez Puratos. Mais l’expérience des surfaces certifiées n’est pour le moment pas vraiment concluante pour les producteurs, si l’on en croit Leticia Yankey, directrice de Cocoa Mmaa Cooperative Ghana : « ces politiques de durabilité, c’est fait de telle manière que le cultivateur y met plus de travail, il doit entreprendre certaines pratiques, s’engager dans la certification sur, par exemple, 5 hectares et à la fin, on ne lui en achète même pas la moitié. Avec tous ces coûts de certification, il se retrouve totalement perdant ! »
Cela explique que les producteurs africains contemplent la régulation européenne avec un scepticisme grandissant. Joseph Aidoo, directeur du Ghana Cocoa Board, le régulateur du Ghana, n’a pas hésité à déclarer publiquement à la conférence : « nous avons besoin de nous asseoir et de regarder ces directives de l’Union européenne sur la déforestation ». Pour Fuad Mohammed Abubakar, directeur de Ghana Cocoa Marketing Company, seule une augmentation du revenu des cultivateurs peut garantir la durabilité : « si les planteurs reçoivent des prix plus élevés, ils seront capables d’investir dans leurs fermes, de gagner plus, d’envoyer leurs enfants à l’école, d’améliorer les rendements, ce qui optimisera leurs surfaces cultivées et rendra la déforestation inutile ». Son souhait ? Que tous les acteurs de la filière, des détaillants aux producteurs en passant par les consommateurs, s’accordent sur un prix plancher de 5 000 dollars la tonne. Signe que la filière est encore très loin d’un consensus, la déclaration de Bruxelles, qui devait clôturer la conférence mercredi en entérinant le principe d’un revenu équitable pour les planteurs et la prise en compte des coûts environnementaux et sociaux de leur travail, prendra quelque temps encore à être finalisée.
Laurence Soustras à Bruxelles.
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