Pannes internet : une vulnérabilité africaine
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Des incidents qui incitent le continent à réfléchir à sa stratégie. Crédits: photo de Mario Caruso sur Unsplash
Quatre câbles endommagés au large des côtes africaines ont plongé huit pays dans des coupures d’Internet, et l’impact économique est encore difficile à évaluer.
Ils s’appellent West Africa Cable System, MainOne, South Atlantic 3 et ACE. Ce sont les quatre câbles qui relient l’ouest de l’Afrique à Internet. Le 14 mars dernier, ils ont subi l’impact d’un glissement de terrain en eaux profondes qui les a mis hors service. Avec pour conséquence des perturbations et des coupures d’Internet pour des millions d’Africains, particulièrement en Côte d’Ivoire, au Liberia, au Bénin – les pays les plus touchés – suivis par le Ghana et le Nigeria. Très vite, les opérateurs Orange, MTN, Vodacom ou encore Telecel ont réussi à rétablir progressivement l’accès au réseau en trouvant des relais terrestres ou en détournant le trafic, parfois jusqu’au Brésil. Mais au total, les réparations entreprises dès le lendemain de l’incident devraient prendre cinq semaines au mieux.
Ces perturbations font suite à un autre incident, de l’autre côté du continent. Cette fois, trois câbles de communications dans la mer Rouge se sont trouvés endommagés, probablement par l’ancre d’un porte-conteneurs coulé par les militants Houthis, d’après un groupe industriel américain, le Comité international de protection des câbles. La mer Rouge étant un corridor crucial de communications entre l’Europe, l’Afrique et l’Asie, via l’Égypte, cette première panne avait déjà entraîné une crise de capacités, avec une quête multipliée de solutions de substitution pour le routage du trafic Internet.
L’impact économique de ces incidents à répétition est difficile à chiffrer. Selon Pierre Dandjinou, expert du secteur et vice-président de l’ICANN qui chapeaute la gouvernance d’Internet, « on sait que les plus gros secteurs, que ce soit le secteur financier, les banques seront touchées, les gouvernements, au niveau de nos systèmes d’information, les services, les communications, tout ce qui est commerce électronique, et vous savez, Internet aujourd’hui c’est quand même des millions et des millions de dollars, tout ceci va être impacté ». De fait, Microsoft a rapporté des perturbations concernant ses services de cloud et ses applications de Microsoft 365 à travers le continent. Les perturbations ont aussi affecté des institutions financières au-delà de l’ouest de l’Afrique, telles Standard Bank Group et Nedbank group en Afrique du Sud. Maurice a également été impacté par les coupures et a dû diriger le trafic Internet vers d’autres câbles, a indiqué Mauritius Telecom.
Autant de raisons qui pourraient amener l’Afrique à activer sa réflexion sur la stratégie de son trafic Internet et l’utilisation de services cloud basés à l’extérieur du continent : « il me semble en fait qu’il y a énormément d’experts qui sont en train de se pencher sur la question pour pouvoir faire en sorte que nous soyons plus autonomes. Il y a énormément de technologies qui passent par le satellite, qui sont moins filaires désormais, pour pouvoir faire en sorte que nous soyons indépendants dans la manière de fournir ce type de services »,indique Aissatou Ami Touré, ancienne responsable des paiements mobiles chez Ecobank et aujourd’hui directrice générale pour le Sénégal de Yassir, la start-up algérienne d’e-commerce.
Les choix auxquels l’Afrique fait face aujourd’hui semblent lui imposer une stratégie de multiplication des accès Internet, y compris les liaisons satellitaires. Les progrès rapides du système Starlink en Afrique attestent de cette quête de diversification. Le Rwanda, le Bénin, le Kenya et le Nigeria ont signé des partenariats avec la société d’Elon Musk, alors que plusieurs États, dont la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, le Mali ou encore le Ghana résistent toujours au milliardaire américain. Plusieurs autorités, dont celles du Niger et du Tchad, ont protesté contre l’importation, la vente et l’utilisation « illégale » des kits Starlink sur leur territoire. Il n’empêche : l’absence d’infrastructures, les incidents de câbles ou les guerres civiles forment un environnement propice pour la solution satellitaire pragmatique Starlink. Exemple au Soudan, plongé dans un conflit entre l’armée et un groupe paramilitaire : la presse est-africaine rapporte comment des civils, privés de communications depuis février, ont désormais recours aux kits Starlink qu’ils utilisent en groupe à un coût pourtant élevé de 2,5 dollars américains par heure. Ce succès comporte toutefois une inquiétante part d’ombre : l’agence Bloomberg a fait état d’un marché noir juteux de kits Starlink qui seraient enregistrés à Dubai avant de gagner l’Ouganda par avion, puis de passer en contrebande par voie terrestre au Soudan, dans la région du Darfour, via le Soudan du Sud. Starlink n’est pour le moment disponible légalement que dans huit États africains.
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