L’ombre des sanctions plane sur plusieurs économies africaines

L’ombre des sanctions plane sur plusieurs économies africaines

Le siège de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) à Libreville

Rédigé par Aboubakar Mounchili et Laurence Soustras

Modifié le 14 février 2024

Les opérateurs économiques vivent dans l’inquiétude des conséquences de l’arrivée des militaires au pouvoir dans plusieurs pays. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont annoncé leur départ de la CEDEAO, alors que le Gabon espère toujours une levée des sanctions de la CEEAC.

« Les frontières du Gabon ne sont pas fermées. Les nouvelles autorités du pays ont même promis de réduire le nombre de contrôles policiers sur la route et d’autres tracasseries aussi. Je pense que c’est une bonne chose pour nous autres opérateurs économiques que le Gabon ne soit pas isolé. Nous avons besoin de ce pays pour le commerce dans la région » : assis au milieu de ses récoltes de fruits prêtes à être chargées dans des camions en direction du Gabon, Albert Meyong, un maraîcher de Yaoundé, garde espoir dans la libre circulation des marchandises, tout en continuant à suivre l’actualité de près. Il n’est pas le seul :« il y a eu beaucoup de craintes, des doutes quant à l’avenir, à propos de la question de la circulation des biens entre le Gabon et certains pays comme le Cameroun après le coup d’État. Des craintes vite dissipées, car les frontières ont vite été réouvertes et la circulation a repris intensément. Nous faisons des chargements ici presque tous les jours », confie pour sa part Léonie, contrôleuse dans cette petite entreprise de fret au marché 8e dans le quartier Mbankolo de Yaoundé. Ce sont pourtant des échanges quotidiens empreints d’une grande incertitude, à mesure que se distillent les retombées de choix politiques drastiques.

COUPS MILITAIRES

Deux régions, deux approches. C’est ce qui semble caractériser la situation dans plusieurs États africains dont les gouvernements civils ont été renversés par des coups d’État militaires. D’un côté le Mali, le Niger et le Burkina Faso, tous visés par des sanctions économiques et suspendus des instances de la CEDEAO, le bloc économique régional de quinze pays qui pèse près de 760 milliards de dollars, qui ont décidé au cours du mois dernier de quitter l’organisation avec fracas. De l’autre le Gabon, bien décidé à persuader la CEEAC de rétablir une relation normale. Non sans mal. Au lendemain du coup d’État du 30 août 2023 qui avait renversé le régime d’Ali Bongo Ondimba, le Gabon avait été « exclu avec effet immédiat » de toutes les instances de l’Union africaine et de la CEEAC. Le siège de cette institution qui se trouvait à Libreville a été délocalisé à Malabo en Guinée équatoriale. Une véritable épine dans le pied du Gabon qui estime son image écornée sur la scène régionale et internationale, d’autant que la CEEAC est un véritable géant en termes de potentialités : onze pays membres, une superficie de 6,67 millions de km² ainsi qu’une population estimée à 200 millions d’habitants en 2020, et surtout un vaste marché comprenant des poids lourds comme l’Angola, le Rwanda, le Cameroun et la RDC. 

ET MAINTENANT ?

C’était tout l’enjeu du tour effectué pendant près de trois mois jusqu’en décembre 2023 dans les différentes capitales des pays de la CEEAC par le général Brice Olingui Nguema, désormais homme fort du Gabon, président de la Transition et chef de l’État. L’enjeu également du sommet extraordinaire de Djibloho, où les dirigeants de la CEEAC ont décidé de maintenir la suspension du Gabon de la participation aux activités de l’organisation jusqu’à un retour à l’ordre constitutionnel tout en suspendant la délocalisation du siège de cette institution de Libreville vers Malabo. Pourtant, si la chaise du Gabon reste vide autour de la table des discussions au sein de la CEEAC, les échanges économiques avec les autres pays se poursuivent sans véritable problème. « Il le faut pour le Gabon et il en dépend. Les chefs d’État de la région Afrique centrale ont vu juste. Ils n’ont pas voulu asphyxier ce pays comme l’ont fait ceux de la CEDEAO avec le Mali et le Niger. C’est une approche différente, plus réaliste, qui permet au Gabon de continuer sa marche dans la recherche des solutions face aux énormes difficultés économiques qu’il a déjà, comme d’ailleurs plusieurs autres pays de la sous-région », explique Alain Marc Fomeyou, spécialisé en géostratégie et enseignant à l’Institut camerounais des études diplomatiques et stratégiques de Yaoundé.

Aboubakar Mounchili et Laurence Soustras

 

L’AVENIR DU FRANC C.F.A. AU CŒUR DES ENJEUX POUR LE MALI, LE NIGER ET LE BURKINA FASO 

La sortie de la CEDEAO annoncée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso va-t-elle s’accompagner d’un départ de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ? La question est lourde de conséquences, pas seulement pour la monnaie unique, le franc C.F.A. que partagent huit pays, mais aussi pour la libre circulation des citoyens de la zone, l’harmonisation des tarifs douaniers et l’attractivité des membres de l’UEMOA auprès des marchés internationaux de capitaux. Le débat a été publiquement ouvert par la réponse ambiguë du président burkinabé sur le maintien de l’utilisation du franc C.F.A. dans son pays. Alors que le Mali indiquait son souhait de demeurer dans l’UEMOA, le général nigérien Abdourahamane Tiani, homme fort du pays, a souligné que « la monnaie est une étape de sortie de cette colonisation ». En réalité, note toutefois depuis Bamako Aly Tounkara, directeur exécutif du Centre d’études sécuritaires et stratégiques au Sahel (CE3S), « les différentes rhétoriques qu’on entend çà et là laissent entendre que, s’agissant de la monnaie, effectivement les trois États, même si des discussions ont été menées dans les couloirs, ont du mal à s’accorder sur la conduite à tenir ». Un départ de l’UEMOA impliquerait que les trois pays cofondateurs de l’Alliance des États du Sahel (AES) se regroupent pour créer une monnaie unique : « l’hypothèse qui me paraîtrait la plus plausible, résume Aly Tounkara, est que soit les trois États vont rester comme ils le sont avec cette union monétaire, soit les trois décideront d’un commun accord, comme ils l’ont fait dans le cas de la CEDEAO, de quitter également à leur tour l’UEMOA. Une chose est certaine : l’autonomie dont ils parlent, la souveraineté que les trois chefs d’État brandissent, sont des éléments qui rimeraient difficilement avec l’acceptation de la devise C.F.A. ».

L.S.

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