L’ Agence française de développement adapte ses programmes à la crise en Afrique et au Moyen-Orient

L’ Agence française de développement adapte ses programmes à la crise en Afrique et au Moyen-Orient

Rédigé par Apolline Sanchez

Modifié le 23 février 2023

Guerre russo-ukrainienne, crise des matières premières, hausse des taux d’intérêt, raréfaction du dollar : les nuages s’amoncellent sur les économies africaines, compliquant la tâche des agences de développement. Jean-Bertrand Mothes, responsable de la division Fragilités, crises et conflits à l’Agence française de développement, détaille la position de l’AFD face à cette nouvelle donne.  

Quelles sont les actions que vous avez mises en place pour limiter l’impact de la guerre en Ukraine sur le continent africain ?

Jean-Bertrand Mothes : Avant la crise ukrainienne, on avait de nombreux projets déjà conséquents, de l’ordre de 700 à 750 millions d’euros, pour faire face à la crise de sécurité alimentaire. On a essayé de dégager des ressources supplémentaires pour aller dans le sens de l’initiative du président de la République justement, sur laquelle on doit travailler au cours de l’année qui vient. Notre objectif est de trouver la réponse adéquate aux besoins de l’Afrique, mais aussi des pays du Moyen-Orient, puisqu’ils sont aussi concernés par cette crise. Nous voulons trouver les moyens à la fois de compenser les conséquences de l’inflation, mais aussi celles sur les matières premières nécessaires à la vente de la production, dont le pétrole évidemment. Et enfin, compenser les conséquences sur tout ce qui est indispensable à la production : les intrants agricoles, par exemple les pesticides qui sont très fortement touchés à la fois par la rareté, mais aussi bien sûr quand on les trouve, par la cherté. On a toujours disposé d’un portefeuille important pour l’agriculture et les filières agricoles, et on est en train de monter en gamme très rapidement afin de faire face à l’explosion des coûts et des produits. 

Comment travaillez-vous avec les institutions de développement africaines comme la Banque africaine de développement ? 

J-B Mothes : On a un accord de partenariat avec la BAD depuis l’année dernière qui nous fixe l’objectif ambitieux de faire des cofinancements à hauteur de 3 milliards d’euros en Afrique. Cela nous permettrait de maximiser nos forces. La BAD agit davantage sur le secteur des infrastructures, donc on travaille avec cette force de frappe sur celui-ci. Pour l’AFD, le secteur du climat est un marqueur très fort, à la fois concernant l’adaptation au changement climatique, mais aussi la prise en compte de toutes les vulnérabilités existant vis à vis de ce dernier. On travaille donc dessus avec la BAD. Et puis, troisième secteur évidemment, le secteur agricole, pour faire face aux besoins énormes du continent.

Il y a d’autres grands acteurs qui travaillent en Afrique, notamment le Programme alimentaire mondial. Comment collaborez-vous avec eux ? 

J-B Mothes : On travaille avec le PAM au Burkina en le finançant directement à travers un projet de développement qui vise à fournir des repas aux enfants dans les cantines scolaires. Ils sont distribués le matin et le midi, et avec une prise en charge en matière de sécurité alimentaire. Ce projet est financé cette année à hauteur de 10 millions d’euros. Acteur de référence, le PAM n’avait pas de financement concernant le secteur des cantines scolaires. Il nous a donc semblé pertinent de travailler en complémentarité pour répondre à ces besoins. 

« Nos agences sur le terrain ont dû modifier leur offre financière et faire face à cette crise »
La crise en Ukraine a-t-elle révélé des points à améliorer dans votre fonctionnement et/ou votre organisation ?  

J-B Mothes : C’est une question difficile, parce que le fonctionnement de notre agence de développement est un peu hybride. On travaille avec l’État en mettant en œuvre les projets de sa politique de développement. On met aussi en place des projets grâce à nos partenaires sur le terrain qui nous empruntent de l’argent à des taux concessionnels, afin d’être mieux financés que sur le marché bancaire classique. Il y a donc deux volets de l’activité qui n’ont pas la même réponse face à la crise ukrainienne. Dans le premier, qui concerne l’aspect subvention, il faut construire une stratégie avec le ministère des Affaires étrangères, celui de la Culture et celui des Armées. L’objectif étant de comprendre les besoins et de quelle manière on peut réaffecter des fonds en faveur de la réponse à la crise alimentaire. Concernant le volet assistance aux États, aux collectivités locales, aux entreprises, c’est vraiment un travail de terrain. Nos agences ont dû changer de logiciel pour modifier leur offre financière et pouvoir faire face à cette crise. En Tunisie et au Liban, la crise alimentaire est tellement forte qu’il faut revoir complètement tous les programmes qui étaient planifiés. Tout cela, dans le but de soutenir ces pays afin qu’ils puissent faire face à l’explosion des coûts, mais aussi pour les aider à trouver des intrants locaux

Peut-on craindre que des turbulences sur les marchés financiers compliquent le financement du développement ?

J-B Mothes : Effectivement, il y a une très forte crainte au sujet de l’augmentation des taux d’intérêt. À l’heure actuelle, ils ont doublé. Nos taux concessionnels, bien qu’étant en dessous de ceux du marché, augmentent aussi inévitablement. Le risque pour tous les pays, qu’ils soient pauvres, intermédiaires ou émergents, c’est qu’ils soient asphyxiés par cette augmentation des taux. On voit très bien que quand elle est très forte, comme aux États-Unis, cela entraîne un renchérissement du dollar qui fait que les investisseurs fuient les monnaies des pays émergents. Et on peut craindre effectivement des scénarios un peu similaires à ce qu’on a vécu en 2007 lors de la crise des pays asiatiques qui ont alors souffert d’une raréfaction du crédit. Quant aux pays en crise, c’est à nous, avec l’État français, de bonifier davantage les prêts qu’on leur accorde et donc de trouver des ressources pour que les taux soient le plus bas possible. Et ça, c’est une discussion avec le ministre du Budget, avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et surtout avec nos contreparties sur le terrain. 

 

Les financements de l’AFD 

L’Agence française de développement conçoit et finance des projets en Afrique, en Amérique latine, dans les D.O.M.-T.O.M. et en Asie. Ce sont 75 pays au total qui sont concernés. L’Afrique, où l’AFD travaille sur tout le continent, du Maroc à l’Égypte jusqu’à l’Afrique du Sud à l’exception de l’Érythrée, concentre la moitié de ses financements. L’AFD s’est donné comme mission, entre 2020 et 2023, de travailler sur de nombreux projets dans le monde avec l’objectif de s’y engager à hauteur de 15 milliards. Le volume des nouveaux projets est de 12 milliards cette année dont 5,4 sont consacrés au continent africain. L’AFD finance en dons, c’est-à-dire pour le compte de l’État français dans sa politique de développement et extérieure, à hauteur d’un peu plus d’un milliard par an. Pour le reste, il s’agit de prêts au bénéfice des États, des collectivités locales, ou encore des entreprises du continent africain afin de financer tous leurs besoins de développement. Les secteurs phares d’intervention de l’AFD sont les infrastructures énergétiques, routières ou de transport, mais aussi l’agriculture, le soutien aux filières agricoles et aux filières productives. S’y ajoutent les secteurs sociaux concernant la santé et l’éducation.

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