Les sans-papiers africains de l’intérim intensifient leur rébellion
Trois grèves se poursuivent depuis octobre dernier dans la région parisienne. Objectif : la régularisation de dizaines d’intérimaires africains sans papiers.
Restauration, agriculture, bâtiment, logistique… Il est dit qu’ils font tourner des pans entiers de l’économie européenne, notamment en France. Certains nouent des relations solides avec leurs employeurs qui se démènent, souvent sans succès, pour obtenir leur régularisation. Mais nombreux demeurent invisibles, dissimulés sous de faux noms et corvéables à merci. Voilà des années que la situation des travailleurs sans papiers fait l’objet de manifestations en France. Mais c’est sans doute l’une des premières fois qu’un groupe de sans-papiers originaires d’Afrique subsaharienne tient tête depuis aussi longtemps – plus de huit mois – aux autorités préfectorales françaises en demandant leur régularisation. Trois piquets de grève sont ainsi en cours dans la région parisienne : ils concernent les travailleurs intérimaires du bâtiment, de Chronopost et de la Poste. Pour Doucoure Yatte, sans-papiers malien, membre d’un groupe de près de 90 intérimaires du bâtiment à Gennevilliers, au nord de Paris, il n’est plus question de reculer : « sans papiers, on ne peut pas travailler dignement. Et nous, nous voulons travailler légalement, comme chaque salarié ».
DES CLANDESTINS EXPLOITÉS SOUS DE FAUSSES IDENTITÉS
Laissant au Mali sa mère veuve, son frère aîné et ses petites sœurs, Doucoure Yatte est arrivé en France en 2015 après un bref passage par l’Italie. Auparavant, il avait parcouru l’infernale route libyenne qui traverse le Burkina Faso et le Niger. La France était pour lui une évidence : « c’est l’ancien pays colonisateur dont je parle la langue ». Arrivé à Paris, Doucoure ne tarde pas à se faire des amis dans la communauté africaine. Il est rapidement mis en relation avec une agence de travail intérimaire, et les petits boulots dans l’industrie du bâtiment s’enchaînent. D’abord des missions de manœuvre où l’on casse des murs au marteau-piqueur. Doucoure remarque que les agences d’intérim qui le font travailler ne se soucient pas du statut de clandestin de leurs recrues : « ils savent bien que nous n’avons pas de papiers, mais ils nous disent de ramener ceux d’un frère, d’un cousin ou d’un père ». Les sociétés dans lesquelles ils travaillent négligent aussi le plus souvent de leur fournir des équipements de protection. Pourtant, les missions qui incombent aux sans-papiers sont souvent particulièrement dures, voire dangereuses. Quand un clandestin se blesse, la prise en charge financière de ses soins médicaux ne peut pas être assurée. Et pour cause : les agences d’intérim ne veulent pas attirer l’attention des autorités et paient des cotisations sociales, mais au nom des fausses vraies identités sous lesquelles elles enregistrent leurs employés. L’assuré est le titulaire des vrais papiers, pas le travailleur sans-papiers. Le milieu ne respecte aucune règle, même en matière de rémunération. Régulièrement, le salaire hebdomadaire promis est amputé sans explication d’une centaine d’euros quand ce n’est pas plus : « ils savent bien que quand tu n’as pas de papiers, tu ne peux pas réagir », dit Doucoure.
BLOCAGE DES DOSSIERS
Sauf en obtenant une régularisation, ce qui est un véritable parcours du combattant. Le travailleur sans papiers peut ainsi demander à être régularisé et à obtenir une carte de séjour après quelques années d’activité. La procédure est aussi risquée pour l’employé, qui a parfois travaillé sous un autre nom que le sien, que pour l’employeur. Ce dernier s’est en effet mis en situation illégale en employant un sans-papiers. Or, la régularisation exige de fournir des fiches de paye. Cette situation ubuesque explique les réticences des employeurs passibles de poursuites. Doucoure Yatte et ses camarades d’infortune ont pourtant réussi à obtenir de leur agence intérimaire le fameux sésame : le formulaire de demande d’autorisation de travail réclamé par la Préfecture. C’était en décembre. Mais depuis, les autorités préfectorales ne donnent aucun signe, même celui de commencer à étudier leurs dossiers. « Les préfectures ferment les portes, elles ne nous reçoivent pas », explique Christian Schweyer, membre d’une organisation composée de syndicats et du collectif Travailleurs sans papiers qui a pris depuis des mois la défense des trois groupes de grévistes. Il décrit une politique assumée des entreprises concernées consistant à cibler des employés qui ne peuvent pas se défendre, particulièrement dans la logistique postale : « c’est du tri qu’il faut faire à toute vitesse et du chargement de camion qu’il faut faire aussi à toute vitesse. Donc, le fait d’avoir des sans-papiers, ça leur permet d’aller le plus vite possible et encore plus vite », souligne-t-il. Aucun signe en tout cas d’affaiblissement de la mobilisation des trois piquets de sans-papiers. La nouvelle députée franco-ivoirienne Rachel Keke, elle-même ancienne leader de la grève des femmes de chambres de l’hôtel Ibis des Batignolles de Paris en juin, a consacré l’une de ses premières visites de terrain au piquet de grève d’Alfortville.
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