Conflit Ukraine/Russie : quelles conséquences pour l’Afrique ?

Conflit Ukraine/Russie : quelles conséquences pour l’Afrique ?

[des fonctionnaires passent en revue des stocks de riz, Burkina Faso, crédits Laurence Soustras]

Par Laurence Soustras

L’AFRIQUE FAIT FACE À L’IMPACT DE LA CRISE EN UKRAINE

Hausses des prix, pénuries alimentaires, difficultés d’approvisionnement : l’Afrique doit s’adapter aux conséquences d’une nouvelle donne géopolitique.

Avec son cortège de hausses de prix vertigineuses pour l’alimentation et le carburant, les effets de la guerre en Ukraine se sont déjà diffusés de manière pernicieuse sur le continent africain. Il y a quelques semaines, Ollo Sib, coordinateur du Programme alimentaire mondial dépendant des Nations Unies et de la FAO, nous confiait son inquiétude : « les prix de certains aliments de base comme l’huile, comme le blé, notamment le pain, ont augmenté, et au Sénégal aujourd’hui, il est extrêmement difficile de trouver de l’huile dans certains endroits. » Aux pénuries d’huile ou de sucre s’ajoute une augmentation de plus de 20 % du prix du pain dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest. De quoi compliquer le travail de l’organisation onusienne dont une grande partie de l’approvisionnement provenait des ports de la mer Noire. Elle doit maintenant tenir compte de frais de transport plus élevés et d’une augmentation de prix de plus de 40 % des céréales achetées localement en Afrique. De leur côté, les agriculteurs affrontent des hausses de prix des engrais de plus de 38 %. Même si, selon Wandile Sihlobo, économiste en chef à la Chambre d’agriculture d’Afrique du Sud, « l’Afrique ne fait pas face pour le moment à une grave pénurie de blé ou d’autres matières premières, et il existe une certaine flexibilité de stocks pour les prochains mois », certains facteurs peuvent encore aggraver les difficultés du continent. L’un est l’interdiction par l’Indonésie des exportations d’huile de palme, très utilisée en Afrique, qui va encore peser sur la pénurie d’huiles. L’autre est la flambée des cours du pétrole qui aide à peine les pays africains producteurs et handicape tous les autres par un effet amplificateur mécanique sur les prix des marchandises : « l’Afrique ne tire pas d’avantages de l’augmentation des prix du pétrole brut, car la plupart des pays producteurs ne produisent pas suffisamment. Que ce soit le Nigeria, le Ghana, l’Égypte ou l’Angola, ces pays ont des productions déclinantes et ne peuvent donc pas profiter de ces barils à plus de 100 dollars », souligne depuis Lagos Toyin Akinosho, l’éditeur de la lettre spécialisée Africa Oil and Gas.

[stocks de sécurité alimentaire, Ouagadougou, Burkina-Faso, crédits Laurence Soustras]

ACCROÎTRE LES RÉCOLTES ?

Les solutions ne sont cependant pas hors de portée, soulignent de nombreux experts. L’économiste John Asafu Adjaye, responsable de la recherche au Centre africain de la transformation économique a ainsi noté qu’au Ghana, où il réside, le secteur de l’agriculture est le seul à s’être développé pendant la crise de la COVID-19 : « cela signifie que les agriculteurs ont relevé le défi de produire davantage, et la même chose peut se produire avec la guerre en Ukraine : plutôt que de regarder vers l’extérieur, les agriculteurs vont essayer de trouver des manières d’accroître leurs récoltes. Après tout, l’Afrique est le continent qui dispose le plus de terres arables. Il n’y a pas de raison d’importer. Cela devrait même être plutôt le contraire. » Encore faut-il prendre la mesure des contraintes, comme l’absence de programmes d’irrigation à l’échelle du continent et les conditions climatiques. La Banque africaine de développement se prépare ainsi à un impact sévère de la guerre en Ukraine qui pourrait se traduire par une pénurie alimentaire équivalente à 30 millions de tonnes et un déficit de 2 millions de tonnes dans l’approvisionnement en engrais. L’organisation vient d’apporter une première réponse en déployant un fonds de 1,5 milliard de dollars pour assurer que 20 millions d’agriculteurs africains disposent de semences certifiées hautement résistantes aux conditions climatiques du continent et d’engrais. Objectif : la production de 38 millions de tonnes de récoltes de blé, maïs, riz et soja.

Interview

La guerre en Ukraine risque de plomber la sécurité alimentaire mondiale

Ariel F. Dumont. 

En raison de l’intensification des combats en Ukraine, plus rien ne sort des ports russes et ukrainiens. Résultat : les pays très dépendants des importations ont peur de bientôt ne plus manger à leur faim. Décryptage avec Ben Belhassen Boubacker, directeur de la Division des marchés et du commerce de la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture.

Selon les derniers relevés, les pays d’Afrique du Nord et subsaharienne seront les plus touchés par la crise. Va-t-on vers une catastrophe alimentaire ?  

Ben Belhassen Boubacker : En 2021, près de 50 pays dépendaient de l’Ukraine et de la Fédération de Russie pour au moins 30 % de leurs besoins d’importation de blé. Une grande partie de ces pays font partie du groupe des nations les moins avancées (PMA) ou appartiennent au groupe des pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV). Il est clair que le conflit peut avoir des répercussions importantes sur les marchés mondiaux et la sécurité alimentaire de nombreux pays. 

Que faudrait-il faire ? 

Tout doit être mis en œuvre pour garantir que les pays et les populations les plus vulnérables seront protégés. Les pays doivent s’abstenir d’imposer des mesures de restriction des exportations qui pourraient détériorer davantage la situation sur les marchés mondiaux. Il faut par ailleurs diversifier les sources de céréales et réfléchir à la mise en place de mesures de protection sociale, et des filets de sécurité ciblés doivent être soigneusement conçus et mis en œuvre.

Le FMI et l’ONU ont parlé de famine en Afrique. Quels seront les pays les plus touchés ? 

L’Égypte et la Tunisie, ainsi que d’autres pays d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, comptent parmi les plus gros acheteurs de blé en provenance d’Ukraine et de la Russie qui, actuellement en guerre, représentent près de 75 % des importations de blé de l’Égypte et environ 40 % des importations de la Tunisie. Il ne faut pas oublier aussi que dans ces deux derniers pays l’État accorde des subventions élevées à la consommation à la majorité de la population. Cette aide garantit un accès abordable au pain, la principale denrée de base. On a estimé que les stocks de l’Égypte et de la Tunisie, qui importent respectivement 62 % et 61 % de leur demande, sont estimés à environ deux mois et demi.

Quel scénario envisagez-vous ?

Le conflit en Ukraine peut avoir des implications négatives importantes pour les populations en Égypte et en Tunisie, en particulier si l’on considère que les marchés mondiaux étaient déjà perturbés avant la crise en Ukraine. Les prix alimentaires mondiaux ont atteint des niveaux historiques, supérieurs aux crises des prix de 2007, 2008 et 2011 qui ont alimenté le printemps arabe dans de nombreux pays d’Afrique du Nord. Selon notre analyse de scénario, le conflit en Ukraine peut encore provoquer une augmentation des prix des denrées et des aliments pour animaux allant jusqu’à 20 % par rapport aux niveaux de référence.

Quelles solutions peuvent être mises en place ? 

La meilleure façon de faire face à une crise alimentaire mondiale est de renforcer la coopération internationale, et la FAO est prête à apporter tout son soutien dans ce sens. Les gouvernements d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient doivent s’efforcer de diversifier leurs sources d’importations puis aussi étendre et cibler leurs systèmes de protection sociale envers les plus vulnérables. En outre, les pays exportateurs ne devraient pas imposer de restrictions ou d’interdictions d’exportation. Ce type de décision pourrait contribuer à la volatilité des prix et à une augmentation supplémentaire des prix mondiaux au détriment des pays importateurs, comme ceux d’Afrique du Nord.

Récemment, M. Qu Dongyu, directeur général de la FAO, a publié des recommandations en matière de politique. Quelles sont-elles ? 

D’abord, maintenir le commerce mondial des aliments et des engrais ouvert. Tout doit être fait pour protéger les activités de production et de commercialisation destinées à satisfaire les demandes nationales et mondiales. Puis diversifier les fournisseurs de denrées alimentaires pour que les pays tributaires des importations provenant de Russie et d’Ukraine puissent amortir le choc. Ils doivent aussi puiser dans leurs stocks de produits alimentaires et diversifier leur production nationale pour assurer l’accès de leurs populations à une alimentation saine. La transparence du marché et le dialogue, deux instruments essentiels, peuvent aider les gouvernements et les investisseurs à prendre des décisions éclairées lorsque les marchés des produits agricoles sont instables. 

Propos recueillis par Ariel F. Dumont à Rome

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