Indaba africain de l’énergie au Cap : quel futur pour le continent ?
Trois jours pour parler de l’avenir énergétique africain : c’est aujourd’hui qu’en Afrique du Sud s’ouvre l’Indaba africain de l’énergie 2024, l’un des plus importants événements du secteur.
Comment maximiser les ressources énergétiques naturelles de l’Afrique et propulser le développement des énergies renouvelables ? Ce sera la principale discussion de cette conférence au Cap cette semaine. Et cette année 2024, l’Indaba, du terme « xhosa » qui désigne traditionnellement les conférences des chefs chez les Zoulous et les Xhosas, s’annonce particulièrement animée. Le contexte s’y prête forcément, puisque c’est le premier Indaba africain de l’énergie depuis la COP 28 qui s’est tenue à Dubaï à la fin de l’an dernier. La conférence des Nations unies consacrée à la lutte contre le changement climatique a abouti à un accord de sortie graduelle des énergies fossiles pour réaliser un objectif de zéro émission à l’horizon 2050. Un résultat cornélien pour l’Afrique, qui dispose d’abondantes réserves de pétrole et de gaz tout en demeurant confrontée à une pénurie d’électricité persistante et très handicapante pour le développement économique et les investissements. C’est dire que dans le contexte d’un programme de conférence très axé sur les énergies renouvelables, le secteur du gaz apparaît comme l’éléphant dans la pièce qui n’entend pas se faire oublier. Mlandzeni Boyce, président de Republic of Mozambique Pipeline Investment Company (ROMPCO) et l’un des principaux sponsors de la conférence, a d’ailleurs tenu à mettre en valeur les avantages du gaz comme énergie propre intermédiaire en déclarant : « l’approvisionnement en gaz joue un rôle central dans le mix énergétique de l’Afrique en renforçant la sécurité énergétique, en promouvant la durabilité et en facilitant la transition vers une production d’électricité plus propre et plus efficace ». Les représentants de l’industrie énergétique du continent arrivent en tout cas au Cap bien décidés à défendre une position de pragmatisme face à un agenda vert mondial qu’ils jugent mal calibré aux besoins et aux réalités de l’Afrique.
Laurence Soustras
NJ Ayuk, président de la Chambre africaine de l’énergie : « nous appelons à une transition juste »
Quelle leçon avez-vous tirée de cette COP 28 pour les orientations énergétiques du continent ?
Je pense que la COP 28 n’a été un grand succès pour personne. Je considère qu’il y a beaucoup de problèmes persistants. Tout d’abord, en tant qu’Africain, je pense que nous ne sommes pas assez préparés. J’encourage les Africains à aller à la COP, parce que si vous n’êtes pas à la table vous allez vous retrouver au menu. Mais la position africaine n’a jamais été unifiée. La question se pose de savoir si certains États africains peuvent utiliser des combustibles fossiles, mais il y a aussi le fait que l’Afrique n’est pas un monolithe. Les États africains qui en sont capables peuvent très bien prospérer grâce aux énergies renouvelables, comme le Kenya, la Mauritanie et même le Maroc. Et ils pourraient même être en mesure d’exporter et de fournir de l’énergie renouvelable à l’Europe ou à d’autres pays africains. Nous devons donc examiner l’ensemble des circonstances, d’autant que nous sommes également victimes de la crise climatique. Il faut des transferts de technologie. Construire des plates-formes d’énergie renouvelable à travers le continent afin que la chaîne d’approvisionnement soit fabriquée en Afrique, pour que nous puissions créer plus d’emplois et plus d’opportunités renouvelables en Afrique. Nous n’avons pas vu venir cela à la COP, et pas plus les 100 milliards de dollars qui ont été promis à l’Afrique depuis 13 ans et qui n’ont jamais été versés.
Dans quelle direction voyez-vous aller l’Afrique par rapport à ces exigences environnementales ?
Les pays pauvres ne pourront pas répondre aux exigences climatiques. Vous pourrez augmenter votre taxe carbone autant que vous le souhaitez dans les pays occidentaux, les pays pauvres ne pourront pas y parvenir. Vous pourrez leur dire de ne pas utiliser de bois, mais ils couperont quand même des arbres pour manger, pour nourrir leur famille. Vous n’allez pas les arrêter. Ils vont aussi commencer à extraire du charbon pour produire plus d’électricité. Vous n’allez pas pouvoir les arrêter non plus. Et pourquoi cela se produit-il, en fait ? Parce qu’on leur a fait des promesses non tenues : des promesses de partage et de transfert des technologies pour aider et réellement démarrer une production d’énergie renouvelable, qui n’existe pas. Il y a un problème de crédibilité de la part de ceux qui font avancer le programme climatique, qui n’est pas un mauvais programme. Mais le pragmatisme et le bon sens ont été laissés de côté. Or, les promesses doivent être tenues. C’est vraiment très important.
Pour répondre à l’agenda climatique, la finance internationale est en train de restreindre ses investissements dans les énergies fossiles. Or, il est sans doute trop tôt pour que les investissements africains prennent le relais. Êtes-vous inquiet ?
Bien sûr, nous sommes inquiets de cet écart. Nous avons constaté un blocage du financement : à l’heure actuelle, même pour lever un financement de 50 à 100 millions de dollars pour démarrer un champ pétrolier marginal ou même développer un projet gazier à petite échelle, il n’y a pas d’argent, et c’est un problème. Mais c’est aussi un problème pour les pays occidentaux, parce qu’en fin de compte ils n’auront pas de stabilité de l’approvisionnement. Et il faut également comprendre qu’il y aura d’autres financements. Les pays du Moyen-Orient et d’Asie et la Russie sont prêts à intervenir et mènent de nombreuses discussions avec les secteurs privé et public pour développer cette industrie. Or, je pense que les institutions occidentales apportent non seulement du financement, mais aussi un certain type d’éthique commerciale. Le financement ne consiste pas seulement à investir de l’argent dans un projet, c’est aussi la transplantation d’un système de valeurs dont nous avons besoin pour plus de justice et d’équité. C’est véritablement contre-productif de couper l’Afrique du financement des combustibles fossiles. Il peut exister une manière pragmatique et pleine de bon sens de procéder. C’est pourquoi nous appelons à une transition juste.
Que doit faire l’Afrique dans ce contexte ? Quel rôle va jouer la nouvelle Banque africaine de l’énergie ?
Nous devons regarder dans le miroir et corriger ce que nous voyons : nous ne signons pas d’accords rapidement ; nous faisons de la rétention de permis d’exploration ; nous avons des formalités administratives et une bureaucratie qui nuisent aux investisseurs. Et au lieu de jouer à ce jeu de reproches consistant à rejeter la faute sur les autres, pourquoi ne regardons-nous pas vraiment ce que nous faisons avec notre système de gouvernance qui n’évolue pas ? Il y a 2 400 milliards de dollars de capitaux privés en Afrique. Nous pouvons être en mesure d’exploiter ces 2 400 milliards de dollars de capitaux privés et d’avoir des institutions financières qui peuvent assurer que cela va être bénéfique de placer son argent dans ces projets. La Banque africaine de l’énergie ne devrait pas se limiter à financer le pétrole et le gaz naturel. Nous devrions nous développer aussi vers le nucléaire, qui est essentiel, qui est une énergie propre. Nous devrions nous développer massivement dans les énergies renouvelables. Nous devrions aussi nous entendre pour que 20 à 30 % des revenus placés dans la Banque africaine de l’énergie soient utilisés pour financer la croissance renouvelable. La banque de l’énergie devrait être en mesure de financer des infrastructures gazières transformables en infrastructures renouvelables, et c’est pourquoi nous soutenons la Banque africaine de l’énergie. Et c’est aussi pourquoi nous soutenons la capacité de l’Afrique à stimuler la croissance du gaz.
Propos recueillis par Laurence Soustras.
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