La longue marche de l’Afrique pour la reprise en main des minerais
[Gauche] Amani Abou-Zeid, Commissaire à l'infrastructure et à l'énergie, Union africaine. [A droite] Ibrahima Diallo, chef de cabinet, ministère des mines et de la géologie, Sénégal.
Les États commencent à légiférer pour assurer un meilleur contrôle des mines, au moment même où la transition énergétique multiplie la demande pour les minéraux critiques africains
« Une prospérité partagée. Sinon c’est des tensions » : dans un contexte de mécontentement africain sur la gestion des matières premières du continent, Ibrahima Diallo, directeur de cabinet au ministère des Mines et de la Géologie du Sénégal, connaît bien les ressorts de l’important secteur minier. Dans son pays, les mines figurent parmi les six secteurs prioritaires du Plan Sénégal Émergent. Les ambitions vont du phosphate – dont le Sénégal voudrait devenir l’un des trois premiers pays africains exportateurs – à l’or, en passant par le fer que le gouvernement veut parvenir à mieux exploiter. Les initiatives du gouvernement de Dakar pour mieux réguler le secteur artisanal de l’or et couper la route aux trafiquants tout en assurant de meilleurs revenus au budget national sont particulièrement observées dans la région. L’encadrement de ces mines artisanales et la mise en place d’un centre expérimental pour accompagner les mineurs constituent une priorité, souligne Ibrahima Diallo, car « tout ceci va nous permettre de maîtriser, d’identifier et de savoir qui est qui, qui exploite – parce que dans ces zones, il y a beaucoup d’étrangers, il y a plusieurs nationalités : les Sénégalais, les Burkinabés, les Maliens, les Guinéens… – Il faut faire très attention pour maîtriser effectivement le flux ».
REVIREMENT DES JUNTES
Cette remise à plat du secteur minier artisanal pourrait intéresser plusieurs nations minières du continent. Mais pendant ce temps, le secteur minier formel a fait face à ses propres défis ces deux dernières années. Les juntes militaires arrivées au pouvoir en Guinée, au Mali et au Burkina Faso étaient attendues au tournant par les compagnies minières internationales. Après des débuts calmes en apparence et une certaine proximité avec les intérêts d’affaires, le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) de la Guinée a procédé à un audit du secteur, mettant en demeure près de la moitié d’une cinquantaine de projets miniers et annonçant plusieurs mesures concernant la bauxite, dont le pays est le second producteur mondial après l’Australie. L’obligation de la transformation locale du minerai et l’instauration d’un prix de référence applicable à la vente de bauxite visent à créer des emplois locaux tout en rapportant des recettes fiscales à l’État. Au Burkina Faso, le secteur aurifère a été frappé de plein fouet par l’activité des djihadistes et deux réquisitions d’or, plus tard acquis au prix du marché par le gouvernement du capitaine Ibrahim Traoré. Au Mali, une nouvelle loi augmente à 30 % la participation de l’État dans les projets miniers, contre un maximum de 20 % dans l’ancien code minier. Cette orientation, déjà présente dans la révision du Code minier de 2018 en RDC, se retrouve dans l’est de l’Afrique. En Ouganda, un pays riche en or, cobalt, cuivre, fer, terres rares et phosphate, et sur le point de se lancer dans l’exploitation pétrolière, le gouvernement prendra une participation de 15 % dans les projets miniers. Les nouvelles licences d’exploitation seront désormais accordées sur une base concurrentielle. Le Kenya, riche en cuivre, graphite, manganèse et nickel, est en train de considérer des mesures similaires pour la réforme de son Code minier de 2016, qui pourrait voir la création d’une nouvelle Autorité de régulation du secteur minier, chargée du contrôle de toute la filière, de l’exploration à la vente des minerais.
L’ÈRE DES MINÉRAUX CRITIQUES
Ces arsenaux juridiques préparent évidemment l’avènement d’une nouvelle phase : celle de l’extraction des minéraux critiques indispensables à la transition vers l’énergie verte. Presque la moitié des réserves mondiales de cobalt, minerai dont la demande devrait doubler d’ici 2030, sont ainsi situées en République démocratique du Congo. Mais plus généralement, « de l’ordre de 50 % à 80 % de ces minéraux se trouvent chez nous, souligne Amani Abou-Zeid, commissaire aux infrastructures et à l’énergie de l’Union africaine, et malheureusement ils continuent à être exploités d’une manière qui n’est pas nécessairement idéale pour notre développement. On les appelle globalement des minéraux critiques, mais pour nous, ce sont des minéraux de développement. Et donc ceux-ci représentent une grande opportunité pour notre continent, pour le développement de notre continent d’abord. » Un avertissement sous-jacent que l’Afrique va désormais étudier de plus près les contrats des intérêts miniers internationaux. Un centre d’appui juridique a été ainsi établi, sous l’égide notamment de la Banque africaine de développement, pour assister les pays dans la négociation des contrats avec les multinationales.
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