Walk with me : une exposition de peinture pour parler de santé mentale au Rwanda

La psychologue Anna Mapendo (à gauche) et Jemima Kakizi (assise) détaillent les symptômes de la dépression et donnent des pistes aux lycéens pour se sentir mieux. Crédit : Alexandra Vépierre
Depuis janvier 2023, l’exposition itinérante Walk with me sillonne les routes rwandaises pour sensibiliser à la santé mentale. Mené par l’artiste et conservatrice de musée Jemima Kakizi, le projet vise à ouvrir la parole sur un sujet encore tabou en passant par l’art.
Dans la salle commune du lycée Fred Nkunda TSS de Muhanga, dans la province Sud du Rwanda, l’ambiance est chaleureuse. Deux cents élèves en uniforme scolaire blanc et gris applaudissent et dansent à l’arrivée en musique de l’artiste multidisciplinaire Jemima Kakizi et de son équipe. Le projet Walk with me prend place dans l’établissement pour sa dernière session de l’année.
Débutée en janvier 2023, l’exposition itinérante expose le travail de dix femmes artistes sur le sujet de la santé mentale. Créée par la conservatrice Jemima Kakizi, Walk with me s’est d’abord établie dans les locaux de L’Espace, un centre d’art de Kigali, avant de se déplacer dans des écoles et maisons de jeunes du pays. Cette exposition s’accompagne de débats avec un panel composé d’artistes et d’une psychologue pour aborder les sujets liés à la santé mentale.
« Parler de santé mentale est nécessaire, surtout dans un pays qui a connu un génocide, explique la fondatrice du projet. Le sujet reste très tabou, même s’il y a de plus en plus de psychologues et d’initiatives sur cette thématique. Mais souvent, la communication est insuffisante, notamment à destination des jeunes ou dans les villages. »
Après s’être présentée, l’artiste invite la foule de lycéens présents à parcourir l’exposition installée à l’extérieur. Une dizaine de peintures et de photos représentent des personnes recroquevillées, des visages en noir et blanc, ou encore des silhouettes sombres. Des œuvres participatives permettent aussi aux jeunes de dessiner. « Les termes de santé mentale ne sont pas toujours faciles à saisir, mais l’art est une langue universelle. Regarder les images interpelle et aide à mieux comprendre », développe Jemima Kakizi.
Extérioriser pour lever les tabous
Sous un tonnerre d’applaudissements, la psychologue Anna Mapendo, membre du panel, commence le débat à propos de la dépression. Tantôt gênés ou sûrs d’eux, les élèves interrogent les intervenantes pour mieux comprendre « ce qu’il se passe dans notre tête durant une dépression ». La psychologue les invite à extérioriser leur mal-être à travers l’art, en se confiant, et prône la bienveillance et l’écoute des autres, sans culpabilisation.
« Le génocide de 1994 a profondément impacté la santé mentale des Rwandais, souligne par la suite la psychologue. Certains vivent encore aujourd’hui avec de l’anxiété, des dépressions, du stress post-traumatique. Même les jeunes qui n’étaient pas encore nés peuvent souffrir de traumatismes transgénérationnels. Malgré cela, les Rwandais ont du mal à se confier, probablement à cause de la culture qui promeut la résilience, le fait de se battre seul. »
Selon les chiffres du ministère de la Santé rwandais, 35 % des survivants au génocide ainsi que 12 % de la population générale connaissent des épisodes dépressifs majeurs, et 28 % des survivants sont toujours en état de stress post-traumatique. Pourtant, si 62 % de la population générale connaissent les services de santé mentale mis à disposition, seulement 5,3 % affirment les avoir déjà utilisés.
La photographe Alice Kayibanda, qui a participé au projet, relate sa propre expérience : « Il y a beaucoup de jugement et d’incompréhension face aux problèmes de santé mentale. Pendant longtemps, j’ai caché ma dépression, puis j’ai appris qu’une femme qui s’était suicidée se faisait insulter sur les réseaux sociaux. J’ai eu envie de parler de ce sujet via mon art ». Elle dédie une série de ses photos aux problèmes de santé mentale, comme la dépression ou l’anxiété.
Face aux lycéens, la photographe raconte ce qu’elle a ressenti – l’impression de vide, l’incapacité à travailler – et répond à leurs questions. Selon elle, les projets comme Walk with me sont essentiels, mais insuffisants : « Le problème des jeunes aujourd’hui est qu’ils sont bien informés grâce aux réseaux sociaux, mais que leurs parents ne le sont pas. Or, les adolescents ne peuvent pas se soigner tous seuls. Ils ont besoin de l’appui de leurs parents, de leur école… »
À la fin de la séance, les lycéens entourent les intervenantes pour les questionner plus discrètement. Soulagée après cette dernière session, Jemima Kakizi voudrait profiter de l’expérience pour partager ses observations avec le gouvernement, en espérant qu’il y ait plus de personnels formés à l’écoute des jeunes.
« J’aimerais poursuivre Walk with me en 2024 avec de nouvelles artistes, mais uniquement si je reçois des fonds extérieurs pour m’aider », conclut la conservatrice. Celle qui s’est démenée pour mener cette entreprise principalement avec ses fonds personnels espère pouvoir compter sur plus d’aides pour ce projet dont les Rwandais ont besoin.
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