La transition verte active de nouveaux risques de corruption
L'ouverture du Forum mondial de l’O.C.D.E. sur l’intégrité et la lutte anticorruption la semaine dernière à Paris. Crédits : Laurence Soustras
Le Forum mondial de l’O.C.D.E. sur l’intégrité et la lutte anticorruption, la semaine dernière à Paris, a mis en lumière les dangers que présente la transition verte pour l’agenda d’équité de l’organisation de coopération internationale.
« Un engagement accru entre gouvernements et entreprises pendant la transition verte accroît la vulnérabilité aux risques, nécessitant une approche plus proactive » : c’est par ces termes que le récent rapport de l’Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.), intitulé « Perspectives de l’O.C.D.E. sur la lutte contre la corruption et l’intégrité » évoque les nouvelles conditions qu’a fait apparaître l’ère de la transition verte. Comme chaque année, l’organisation de coopération internationale, composée en grande partie de pays développés, faisait le point sur les progrès de la lutte anticorruption, avec une circonstance particulière : cette année, la convention de l’O.C.D.E. sur la lutte contre la corruption qui a fait de la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales une infraction pénale, fête ses 25 ans. Cet anniversaire intervient dans un environnement transformé par les nouvelles technologies, face à ce que François Valérian, président de Transparency International appelle « une économie globale de la corruption » : c’est, explique-t-il, parce que « l’argent public volé et l’argent payé en pots-de-vin propulsent un flux massif d’argent illicite qui traverse les frontières, est dissimulé dans des paradis fiscaux – qui existent toujours –, dans des juridictions peu régulées et maintenant dans des plates-formes de cryptomonnaies, pour finir gaspillé dans de l’immobilier de luxe ou des voitures de sport, mais surtout disséminé en grande partie dans les marchés de capitaux du Nord global grâce à l’aide de financiers et de facilitateurs juridiques qui ont oublié d’être des contrôleurs ». Un tableau aggravé par l’analyse de Transparency International d’un déclin de l’application de la convention, compte tenu du fait qu’une part grandissante des exportations mondiales – jusqu’à 85 % – est réalisée par des pays qui ne l’appliquent pas. À cela s’ajoute le défi des nouvelles technologies : « qui utilise encore des mails aujourd’hui ? », a fait mine de s’interroger David Fuhr, responsable de l’unité Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), du département de la Justice américain, évoquant la difficulté « d’identifier les communications des personnes discutant d’actes de corruption ».
DES BOULEVARDS D’INFLUENCE
La transition verte ajoute une nouvelle couche de complexité à la tâche : l’Agence internationale de l’énergie estime que des investissements allant de 360 à 450 milliards de dollars seront nécessaires pour atteindre l’objectif zéro émission nette de CO2 d’ici 2030. Pressés de réaliser rapidement des objectifs colossaux, les gouvernements sont contraints de faire massivement appel au secteur privé, ce qui selon l’O.C.D.E. ouvre à certaines compagnies des boulevards d’influence : recrutement d’anciens ou actuels hauts fonctionnaires pour influencer le processus politique, campagnes de désinformation ou encore infiltrations de think tanks ou d’instituts de recherche académique. Les pays en voie de développement sont particulièrement menacés, avec l’Afrique au premier rang des minerais critiques indispensables à la transition énergétique et aux véhicules électriques [La longue marche de l’Afrique pour la reprise en main des minerais | Africa On Air (africa-on-air.com)]. La Sud-africaine Zakhona Mvelase, fondatrice du Réseau des femmes africaines contre la corruption, souligne que l’une des clés de ce nouveau chapitre de la lutte anticorruption va être l’implication de la société civile, notamment des femmes qu’elle voit comme des victimes jusque-là silencieuses des conséquences directes du manque d’intégrité des gouvernements et des compagnies. Et d’ajouter : « je pense qu’un élément crucial est de commencer à changer le contexte sociétal et l’environnement pour les facilitateurs, parce que l’on ne parle que des “perpétrateurs” et l’on oublie qu’ils sont entourés de facilitateurs qui rendent cette corruption possible ». Un exemple clé est le cas du traitement de la dette publique quand des gouvernements sans intégrité sont à la manœuvre, selon Transparency International. « Quand il n’y a plus d’argent public pour les leaders corrompus, ils vont en créer davantage en émettant de la dette. Et quand cette dette est émise sur les marchés de capitaux, on trouve à nouveau le secteur privé en première ligne, en la personne des banquiers qui écrivent les prospectus légaux de ces émissions », souligne François Valérian. Depuis cinq ans, l’une des solutions aux scandales de corruption internationale a résidé dans l’application d’un régime multijuridictionnel d’application de la loi, dont un exemple récent est l’affaire de la société de négoce et d’extraction de minerais Glencore, basée en Suisse, mais condamnée pour corruption dans plusieurs pays africains. Ces dernières années, les grands groupes internationaux se sont aussi dotés de services de conformité pour écarter autant que possible les risques. En dépit de cela, note David Fuhr, du département de la Justice américain, « nous sommes extrêmement occupés et les dossiers continuent de s’accumuler ». Dans cet environnement de corruption globale sophistiquée où, a tenu à rappeler François Valérian, les lanceurs d’alertes et les O.N.G. n’ont jamais été plus menacés qu’aujourd’hui, la Convention de l’O.C.D.E. va devoir se muscler. Pour cela, estime, Zakhona Mvelase, « il va falloir qu’au cours de la prochaine décennie, la convention, si elle veut demeurer attractive, parvienne à devenir adaptable aux conditions des pays non membres de l’O.C.D.E… C’est ainsi que nous parviendrons à la coopération internationale ».
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