Nouveau Caire, vieux Caire : deux cités en mutation

Nouveau Caire, vieux Caire : deux cités en mutation

Vue du centre du Caire

Rédigé par Laurence Soustras

Modifié le 21 février 2024

Huit ans après le lancement du projet de la Nouvelle capitale administrative, Le Caire fait peau neuve avec le transfert des ministères et la rénovation prochaine du centre-ville historique.

 

C’est un immense chassé-croisé qui a commencé au Caire entre la capitale historique et la flamboyante Nouvelle capitale administrative du pays située à 45 kilomètres vers l’Est. Le projet, depuis longtemps en gestation pour répondre à l’expansion rapide de la population de 23 millions de Cairotes, a formellement débuté en 2015 et est en train de conclure sa première phase. L’été dernier, les administrations du pays ont déménagé dans leurs bureaux de la nouvelle capitale, donnant le signal du début de la migration quotidienne de 48 000 fonctionnaires et employés.

UN CHANTIER EN PLEIN DÉSERT

La Nouvelle capitale ? Ça n’a longtemps été qu’un gigantesque espace de constructions étiré sur 270 kilomètres carrés, à mi-chemin entre Le Caire et la ville portuaire de Suez. Le projet, estimé à 60 milliards de dollars, consistait à réaliser 25 quartiers dédiés à l’activité économique ou gouvernementale et 21 quartiers résidentiels. Autrement dit, l’impensable en plein désert, au moins sur le papier : un immense parc central, des lacs artificiels, près de 2 000 institutions d’enseignement, près de 700 hôpitaux et cliniques, un parc d’innovation technologique, plus de 1 000 mosquées et églises, un stade de 90 000 places, des hôtels dont le nombre de chambres cumulées devrait atteindre 40 000. Il doit s’y ajouter une infrastructure ultramoderne : des fermes solaires, une ligne de train électrifiée pour rejoindre Le Caire, ainsi qu’un nouvel aéroport international. D’ores et déjà, une tour de 70 étages – la plus haute d’Afrique – est édifiée, ainsi qu’un opéra, une méga mosquée et la plus grande cathédrale du Moyen-Orient. 

DE RICHES INVESTISSEURS

Environ 100 000 unités d’habitation sont déjà en place et 1 200 familles ont emménagé sur le site, a récemment indiqué Administrative Capital for Urban Development (ACUD), l’organisation qui chapeaute le projet. Une ligne de train électrifiée est également en service depuis l’an dernier pour rejoindre l’est du Caire, et les travaux d’une ligne de monorail doivent commencer au deuxième trimestre. Les grandes banques et groupes industriels ou financiers égyptiens opèrent progressivement la migration de leur siège depuis le début de l’année. Mais qui viendra vraiment vivre dans cette Nouvelle capitale ? La question est maintenant sur toutes les lèvres en Égypte. À plus de 80 000 dollars pour les premiers prix, les appartements de la Nouvelle capitale apparaissent hors de la portée de nombreux Égyptiens, et le marché immobilier qui s’est développé autour des résidences a surtout favorisé les acquisitions de riches investisseurs, « avec pour conséquence moins d’investissements dans les autres villes qui resteront de qualité moindre, présentant moins d’opportunités, et pauvres, estime l’architecte cairote Ahmed Zaazaa, membre d’un collectif nommé 10Tooba. Cela même, alors que nous n’avons pas besoin de ce type d’extension du Caire, caractérisé par un habitat “résidentiel protégé” et des “communautés fermées” pour ultra riches, un marché déjà saturé et qui ne joue aucun rôle dans le logement social ». 

INQUIÉTUDES POUR LE CAIRE POPULAIRE ET CRÉATIF

Au Caire même, la population semble avoir une perception du projet résignée et attentiste. Beaucoup ont compris que le ticket d’entrée de la Nouvelle capitale sera trop élevé pour le plus grand nombre : « il n’y a presque aucun projet immobilier dans cette Nouvelle capitale qui cible le groupe de revenus les plus bas », souligne Ahmed Zaazaa. Cela peut être une source d’inquiétude au moment même où le centre-ville du Caire, jusque-là zone d’habitat urbain accessible à tous, a entamé une rénovation d’envergure qui va avoir un impact sur les immeubles anciens et peut-être même le caractère populaire et créatif du cœur de la capitale. Dans ce processus redouté de gentrification, la notion de préservation des immeubles anciens risque pour beaucoup d’aller de pair avec le remplacement de la population par de riches visiteurs occasionnels, un tourisme haut de gamme allié à un habitat urbain de luxe pour les plus favorisés. Une chose est sûre : les fonds privés sont déjà à pied d’œuvre, tel Al-Ismaelia for Real Estate Investment. Ce groupe a constitué un consortium d’investisseurs égyptiens et saoudiens, et aurait, depuis sa création en 2008, préservé au moins 25 bâtiments d’intérêt historique, tout en acquérant sans doute beaucoup plus de propriétés. De son côté, le Fonds souverain du pays a pris le contrôle de trois propriétés clés du centre-ville et s’est vu transférer la propriété de 11 anciens ministères. Il est prévu d’ajouter à la capitale historique égyptienne 2 600 chambres d’hôtel supplémentaires et 15 000 m2 d’espaces verts.

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