Comment la guerre en Ukraine va bénéficier à l’Algérie, l’un des plus importants exportateurs de gaz vers l’Europe

Transition politique, pandémie de COVID-19, crise ukrainienne, nouvelle découverte de gisement de gaz : autant d’éléments qui ouvrent une nouvelle étape dans la montée en puissance de l’Algérie sur la scène énergétique.
Entre la fin de règne, en février 2019, du président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 20 ans, et la crise ukrainienne, le positionnement énergétique de l’Algérie est en train d’évoluer : « Vous savez, le vent qui a soufflé sur l’Algérie en février 2019 et la nouvelle feuille de route d’une Algérie en marche, la pandémie sanitaire de la COVID-19, ainsi que la guerre en Ukraine représentent de nouvelles donnes pour la réflexion d’un nouvel ordre économique mondial. L’Algérie est considérée par plusieurs pays européens comme la nouvelle alternative gazière par rapport au gaz russe », souligne le docteur en économie et chercheur, Sofiane Guermouche.
Le rôle de l’Algérie sur le marché énergétique mondial n’est certes pas une nouveauté. Grâce à son entreprise pétrolière et gazière étatique Sonatrach, le pays nord-africain consolide depuis des années sa position sur le marché international, en tant que fournisseur d’hydrocarbures sûr et fiable. Une base ferme que le secteur gazier va encore renforcer.
Importante découverte de gaz à Hassi R’mel
Fin juin, Sonatrach a ainsi annoncé une importante découverte de gaz à condensats dans le périmètre de Hassi R’mel (Laghouat), à 400 kilomètres au sud d’Alger. Il s’agit du plus grand gisement de gaz naturel d’Algérie. Son évaluation préliminaire fait état d’un potentiel de volume compris entre 100 et 340 milliards de mètres cubes de gaz à condensats. Le géant algérien des hydrocarbures a souligné l’importance de cette découverte en précisant dans un communiqué qu’elle entraînait les « plus grandes réévaluations de réserves des vingt dernières années ». Le P.-D.G. de Sonatrach, Toufik Hakkar, a annoncé les premières productions de gaz pour septembre en soulignant « l’importance du temps réduit pour la production des premières quantités de gaz au niveau des nouveaux gisements grâce aux installations et aux puits existants, permettant de produire plus de 10 millions de mètres cubes par jour ».
Pour Sofiane Guermouche, « la nouvelle découverte de gaz à Hassi R’mel va augmenter la production en Algérie en lui permettant de passer de 85 milliards de mètres cubes par an à 88, voire 89 milliards de mètres cubes par an. » Il ajoute qu’actuellement, « l’Algérie exploite juste 50 à 60 % de ses réserves, et ce, sans compter le dernier gisement qui a été découvert. »
Car la production du gaz en Algérie a connu une baisse considérable, notamment depuis 2019. Selon Ishak Kherchi, expert en économie, « l’Algérie produisait entre 2015 et 2019 environ 140 milliards de mètres cubes de gaz par an. Toutefois, cette quantité a baissé ces dernières années aux alentours de 80 milliards de mètres cubes. » Cette baisse n’a pas touché uniquement l’Algérie. En effet, un rapport de l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole (OPAEP) indique que « sur l’échelle mondiale, les investissements dans les domaines de l’exportation et de la production du gaz ont diminué l’année dernière de près de 23 % par rapport à ceux de la période de l’avant COVID-19 ». Le rapport de l’OPAEP ajoute que ce recul était accompagné d’une baisse des nouvelles découvertes, à leur niveau le plus bas depuis plusieurs décennies.
L’Italie et l’Espagne, les principaux clients européens de l’Algérie
C’est dans ce contexte que la géopolitique s’est invitée dans le paysage énergétique. Avec la guerre en Ukraine et son impact sur les livraisons de gaz russe, l’Italie, qui occupe la tête de liste des clients européens de l’Algérie avec 20 milliards de mètres cubes importés par an, cherche à renforcer sa position : « un accord de partenariat entre les deux entreprises nationales d’hydrocarbures, à savoir l’ENI, l’italienne, et Sonatrach, l’algérienne, a été récemment conclu. Ce dernier porte sur une augmentation de 9 milliards de mètres cubes importés, pour atteindre 29 milliards de mètres cubes par an d’ici 2026 », explique l’expert en économie Ishak Kherchi. « Après l’Italie vient ensuite l’Espagne, qui importe entre 9 et 10 milliards de mètres cubes par an. En Europe, outre ces deux pays, on peut également citer la France, l’Allemagne, et même le Portugal. De quoi renforcer la devise nationale et les réserves de change de l’Algérie », conclut-il. Reste la question du transport du gaz, étape clé de la chaîne gazière. La filiale Hyproc Shipping Company du groupe Sonatrach assure le transport maritime du gaz naturel liquéfié au moyen de méthaniers. Depuis la fin, en 2021, du contrat du gazoduc Maghreb-Europe (GME) qui traversait le Maroc pour rejoindre l’Espagne, une partie du gaz transite par le gazoduc Medgaz, qui relie l’ouest de l’Algérie au sud de l’Espagne.
Un gazoduc transsaharien ?
La grande question, c’est comment le gaz africain subsaharien pourrait entrer dans ce circuit. Le Nigeria a la capacité nécessaire pour devenir un grand exportateur de pétrole vers l’Europe. Encore faudrait-il que le projet de gazoduc transsaharien initié par un accord de 2009 signé par les gouvernements du Nigeria, du Niger et de l’Algérie finisse par se concrétiser. Depuis février 2022 on note cependant une volonté grandissante de voir progresser ce projet de Trans-Saharan Gaz-Pipeline (TSGP) de 4 100 kilomètres qui partirait du Nigeria et traverserait le Niger pour atteindre la côte algérienne.
https://punchng.com/nigeria-rallies-support-for-13bn-trans-saharan-gas-pipeline/
Les obstacles ne manquent pas, du financement des installations – l’enveloppe est évaluée à 13 milliards de dollars – à leur sécurité, le tracé du gazoduc transitant par plusieurs zones d’insurrections armées attisées par le terrorisme. Lors d’une réunion tripartite à Abuja au Nigeria le mois dernier, les gouvernements se sont mis d’accord pour donner un coup d’accélérateur au projet en lançant des études techniques. Pas moins de trois ans seraient nécessaires pour finaliser le gazoduc qui serait capable de transporter entre 20 à 30 milliards de mètres cubes de gaz par an, du delta du Niger à la côte méditerranéenne, et pourrait alimenter sur son trajet les régions avoisinantes. Un enjeu stratégique et géopolitique considérable qui va bien au-delà des ambitions des promoteurs directs du projet, l’algérien Sonatrach et la major nigériane Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) : en effet, le russe Gazprom est dit intéressé à participer au TSGP, alors même qu’un projet, initié en 2016, de gazoduc concurrent qui reliera le Nigeria et le Maroc a également reçu le mois dernier le feu vert du gouvernement d’Abuja.
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