Accès aux médicaments : Big pharma toujours réticente aux brevets génériques en Afrique
En Afrique, les avancées en matière de santé demeurent freinées par le coût exorbitant et la pénurie de médicaments essentiels, à un moment crucial des efforts de campagne en faveur de l’accès aux traitements pour les populations les plus fragiles.
Une injection semestrielle au lieu d’une prise quotidienne de médicaments antirétroviraux : la conclusion d’un récent essai clinique a donné de l’espoir à des millions d’Africains porteurs du V.I.H.. Menée auprès de 5 300 femmes en Afrique du Sud et en Ouganda, l’étude a démontré l’efficacité à 100 % d’une injection semestrielle de Lenacapavir, un médicament anti‑V.I.H. existant qui a été développé par le laboratoire américain Gilead. En Afrique subsaharienne, où vivent aujourd’hui 67 % des près de 40 millions de porteurs du V.I.H., les patients souvent très jeunes sont majoritairement des femmes. Chaque semaine, selon UNAIDS, on dénombre 4 000 filles et jeunes femmes de 15 à 24 ans infectées par le virus, dont 3 100 en Afrique. L’injection semestrielle de Lenacapavir pourrait constituer une révolution dans des traitements antirétroviraux qui entraînent de lourds effets secondaires et sont souvent complexes à mettre en œuvre. L’O.M.S. a ainsi observé que, globalement, « de nombreux pays ne parviennent toujours pas à optimiser la continuité des soins, à supprimer la charge virale au niveau de la population et à faire passer les personnes en échec virologique à d’autres schémas thérapeutiques. De plus, il y a toujours des ruptures de stock de médicaments antirétroviraux, ce qui peut avoir un impact négatif sur l’observance thérapeutique des patients. » Ce dernier obstacle constaté dans plusieurs classes de traitements thérapeutiques conditionne fortement le succès de l’essai clinique à des notions concrètes de coûts de production et d’industrialisation. Mais aussi et surtout de brevets pharmaceutiques, a rappelé l’organisation People’s Medicines Alliance qui coordonne une centaine d’organisations de la société civile. Rappelant qu’il a fallu attendre « dix ans et la perte de 12 millions de vies humaines » avant que les traitements antirétroviraux génériques deviennent disponibles dans le monde entier, l’organisation a annoncé fin mai que 300 personnalités, parmi elles les premiers scientifiques de la recherche sur le V.I.H., appellent Gilead à accorder dès maintenant des brevets génériques au Medicines Patent Pool (MPP Home – The Medicines Patent Pool) pour assurer des traitements abordables aux pays à bas et moyens revenus.
Ce débat intervient à un moment crucial pour les activistes de la santé : l’organisation Médecins sans frontières (M.S.F.) a annoncé au début de l’été qu’elle fermerait à la fin de l’année sa branche Access Campaign (Médecins Sans Frontières Access Campaign [msfaccess.org]) qui milite contre les barrières à des médicaments abordables pour tous. « Access Campaign a été une partie très respectée du mouvement pour l’accès aux médicaments, grâce à une combinaison unique de maîtrise des plaidoyers sur le plan juridique et d’expertise de campagnes médicales », souligne Christy Clemence, responsable des campagnes mondiales pour People’s Medicine Alliance. « C’est un coup très dévastateur pour le mouvement pour l’accès aux médicaments au sens large, et surtout pour les patients du monde entier. En fait, je pense que les seuls à se réjouir de la fin de la campagne sont les sociétés pharmaceutiques, précisément parce que M.S.F. a joué un rôle si important dans le lobbying et l’obtention de prix fixes pour l’accès aux médicaments ». L’un des récents succès d’Acces Campaign avait amené la firme américaine Johnson & Johnson à se voir rejeter sa demande de continuité en Inde d’un brevet de vingt ans sur un médicament contre la tuberculose multirésistante, la Bédaquiline. Une décision qui a eu un effet domino sur les brevets secondaires dans plusieurs autres pays. Le mois dernier, cette firme a dû retirer son brevet secondaire et abaisser le prix de ce médicament en Afrique du Sud.
Cette redistribution des cartes dans le plaidoyer de l’accès aux médicaments intervient au moment même où se joue une nouvelle bataille. La pénurie de stylos à insuline pour les traitements diabétiques se généralise en raison de prix astronomiques et de la priorité accordée à des traitements onéreux contre l’obésité dans les pays occidentaux. La firme Novo Nordisk, qui a fourni 14 millions de stylos à insuline à l’Afrique du Sud ces trois dernières années, vient ainsi d’annoncer la fin de son contrat, une évolution due vraisemblablement à « une demande accrue de produits plus profitables qui demandent la même production que les stylos à insuline, amenant les fabricants à prioriser leur production », a indiqué le département sud-africain de la santé.
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