Légalisation de l’avortement au Bénin : entre contestations et difficultés d’application

Déborah Weill
Le jeudi 21 octobre dernier, l’Assemblée nationale du Bénin a modifié sa loi sur l’avortement pour résoudre la catastrophe sanitaire due aux pratiques clandestines. Une occasion de relancer le discours sur la sexualité et de consolider les politiques de prévention, là où l’accès à l’information sur la santé sexuelle et reproductive est encore précaire.
Des jeunes filles non informées, une sexualité taboue, une contraception limitée et, avec pour résultat, une contestation sociale : ce sont les ingrédients de la réception très mitigée par la population béninoise à l’adoption d’une nouvelle loi qui renforce l’arsenal juridique consacré à l’avortement.
Depuis 2003, l’avortement était interdit au Bénin, à l’exception des cas de viol, d’inceste, ou lorsque la vie de la mère était en danger. Cette loi a pour objectif de lutter contre le drame des avortements clandestins. Selon un rapport de l’OMS, « en Afrique, près de la moitié des avortements ont lieu dans les pires conditions de sécurité. De plus, la mortalité due aux avortements à risque pèse de manière disproportionnée sur les femmes d’Afrique. Alors que ce continent comptabilise 29 % de tous les avortements à risque, il s’y produit 62 % des décès dont ils sont la cause ».
Le ministre de la Santé, Benjamin Hounkpatin, a ainsi clairement explicité dans un point presse à Cotonou que « cette mesure vient soulager les peines de nombreuses femmes qui, face à la détresse d’une grossesse non désirée, se trouvent obligées de mettre leur vie en jeu par des pratiques d’interruption de grossesse dans des conditions non sécurisées ». Désormais, le recours à l’avortement sera légal « lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale ».
Une mesure qui doit être accompagnée d’une solide campagne d’information
Jonas Kindafodji, consultant en communication pour le développement et spécialiste en droit sexuel et reproductif, a longtemps travaillé à sensibiliser les étudiants sur les questions de contraception, de mariage précoce et de violences sexuelles. Après avoir parcouru plus de 66 communes au Bénin, Jonas Kindafodji estime que « la plus grande difficulté du Bénin demeure aujourd’hui l’accès à l’information vraie et vérifiée ».
La question de l’avortement est très taboue dans la culture béninoise, parce qu’elle oblige à parler de sexualité. « Les jeunes filles ne savent même pas ce qu’est un avortement. On leur explique qu’à partir de leurs règles, elles ne peuvent plus toucher les garçons, au risque de tomber enceintes et de déshonorer la famille. Si elles ne respectent pas ça, elles seront alors exclues de la communauté. Quasiment aucune éducation n’est faite auprès des jeunes sur la santé sexuelle et reproductive. On ne sensibilise pas assez les garçons au consentement et à la contraception. Si ce travail était fait en amont, les femmes n’auraient pas besoin d’aller avorter. L’avortement c’est toujours un drame, mais quand il n’y pas d’alternative, il faut laisser le choix », nous explique Jonas Kindafodji.
Pour que cette loi puisse avoir un véritable effet sur la santé publique, il faut, selon Jonas Kindafodji, insister sur l’éducation à la santé sexuelle et reproductive : « Beaucoup de personnes n’ont pas une bonne lecture de cette loi. La rumeur se répand que l’avortement est devenu totalement légal et encouragé au Bénin. À cause de la culture et de la religion, c’est très mal reçu. Mais personne ne s’intéresse aux conditions, aux raisons qui ont motivé ce choix : maintenant, les jeunes filles qui avortent en secret pourront le faire à l’hôpital, sans prendre le risque de mourir. »
En dépit de ces arguments, des contestations demeurent. La conférence des évêques du Bénin, une association des membres du clergé catholique du Bénin existant depuis 1970, a affirmé dans un communiqué de presse que cette nouvelle politique de l’avortement était le reflet d’une « politique de la mort ». De nombreuses manifestations se sont tenues pour empêcher la promulgation de cette loi pour l’avortement, projetant l’impression d’une législation bien loin d’être comprise comme une solution légitime, mise en place pour sauver des vies. Elle apparaît à ses détracteurs comme une violence à l’encontre des traditions béninoises et une invitation à normaliser la sexualité hors mariage.
Il est donc trop tôt pour savoir quel effet cette nouvelle loi aura sur les traditions et connaître la façon dont l’avortement est perçu par les populations. Pour l’instant, il est clair qu’elle contribue à diviser l’opinion publique. Il n’en demeure pas moins que le Bénin vient officiellement de rejoindre le cercle limité des pays ayant modifié leur loi sur l’avortement (la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Cap-Vert, le Mozambique et la Zambie), en cohérence avec le protocole de Maputo, un protocole international de l’Union africaine amenant les états signataires à garantir les droits des femmes.
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