Théâtre contemporain en Afrique : les artistes aux avant-postes pour développer le secteur

Le spectacle « Gamblers », écrit par le dramaturge rwandais Dorcy Rugamba et mis en scène par l’Ivoirien Fargass Assandé, a été joué lors de la triennale de Kigali. Crédit : Alexandra Vépierre
Malgré les soutiens encore timides du secteur privé et des gouvernements, des auteurs dramatiques, metteurs en scène et comédiens ne doivent compter que sur eux-mêmes pour développer le théâtre contemporain dans leur pays et intéresser une population souvent peu sensibilisée.
« Enfant, j’adorais raconter et écouter des histoires, incarner les personnages de contes ou de films, se remémore Bingo Regis, auteur et metteur en scène rwandais. C’est sur Internet que j’ai fini par découvrir le théâtre sur scène. Un art qui a le pouvoir de réunir la poésie, la musique et la danse, c’est incroyable ! »
Comme lui, de nombreux artistes se sont intéressés aux arts du spectacle grâce aux traditions orales, bien implantées en Afrique. Mais si certains États comme le Burkina Faso ou le Nigeria valorisent le secteur culturel grâce à une politique de soutien, la situation est très disparate sur le continent, où le développement du théâtre scénique varie selon les pays.
Les artistes sont alors confrontés au manque de financements, de formations et d’infrastructures. « Il y a peu d’espaces destinés uniquement au théâtre, regrette Bingo Regis, qui essaie de partir en tournée avec son spectacle « Indemarugamba », centré sur la vision coloniale des cheveux africains. On essaie de créer des espaces dans les rues, dans des salles polyvalentes, des salles de mariage, parce qu’on n’a pas de lieux dédiés. »
Depuis 2012, l’association Rwandan Arts Initiative (RAI), fondée par le dramaturge Dorcy Rugamba, accompagne ceux qui se lancent dans l’entrepreneuriat culturel. En février 2024, RAI a organisé la première triennale du pays, donnant la part belle au spectacle vivant. Aujourd’hui, l’association souhaite se concentrer sur la création d’espaces. « En 2019, nous avons identifié les lieux artistiques qui existent déjà à Kigali, les lieux transformables et les terrains vierges, explique le metteur en scène. Notre but désormais est de créer un complexe culturel qui soit à la fois un lieu de création et de diffusion ». En vingt ans, Dorcy Rugamba a noté un intérêt grandissant du gouvernement pour la culture et espère voir le secteur privé s’investir davantage.
Du côté du Cameroun, les artistes agissent par eux-mêmes pour développer leur art. Zora Snake, performeur et chorégraphe, a créé avec ses propres moyens le festival Modaperf (Mouvements, danses et performances) en 2017 à Yaoundé. « Les artistes sont des moteurs dans notre société, affirme le Camerounais. Certes, je ne reçois pas d’aides de l’État, mais cela ne m’arrête pas. Je continue de le tenir informé de ce que je fais, et en attendant je cotise chaque année pour préparer l’édition suivante ».
Un public à conquérir
Considérant les théâtres comme des espaces « conçus pour l’élite bourgeoise », Zora Snake a fait le choix d’investir la rue pour ses spectacles, afin de toucher le maximum de personnes. « C’est grâce à la société que j’écris mes pièces, donc il faut que tout le monde puisse les voir. C’est aussi une manière de tisser du lien et de saisir les besoins de la population ». Selon lui, l’intérêt du public se gagne par le dialogue, et l’artiste a vu son festival grandir au fil du temps. « C’est un processus qu’on essaie d’implanter au Cameroun pour faire comprendre l’importance des arts vivants et que cela devienne notre patrimoine, ajoute Zora Snake. Pour mon festival, il m’a fallu le temps de cultiver cette relation. C’est une graine qu’on sème et qu’on arrose à deux, avec les artistes et le public. »
Séduire les spectateurs passe également par la réappropriation des thèmes. L’autrice et comédienne burundaise Claudia Munyengabe organise tous les deux ans depuis 2014 le festival Buja Sans Tabou dans le but de populariser le théâtre auprès d’un public peu initié. Pour cela, elle met en avant des thèmes qui concernent la société burundaise contemporaine. « J’ai commencé le théâtre à l’école en jouant des pièces de Shakespeare et Molière, se souvient l’autrice. C’est intéressant de voir des spectacles qui viennent d’autres pays, mais il n’y avait pas grand-chose qui me parlait. » Aujourd’hui, elle écrit des pièces comme « Point Zéro », une topographie de la jeunesse burundaise après les manifestations de 2015. « Nous les jeunes, nous connaissons notre histoire, mais nous avons besoin de la réinventer. Le théâtre nous permet d’investir cette tradi-modernité », précise-t-elle.
Toujours dans cette volonté de toucher un plus large public, Bingo Regis a choisi d’écrire sa pièce en kinyarwanda. « J’aurais pu écrire en français ou en anglais, mais j’ai choisi ma langue maternelle. C’est une langue très riche, avec beaucoup de musicalité, mais qui est peu explorée au niveau artistique ». L’ambition à terme pour les deux artistes est de pouvoir exporter leurs spectacles dans l’ensemble de leur pays, mais aussi à l’international. « Pour que le monde entier puisse voir nos histoires », conclut Claudia Munyengabe.
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