Les compagnies de théâtre africaines cherchent leur place au festival d’Avignon

Les musiciens de « Udjamaa » jouent leurs compositions au théâtre Le Verbe Fou et espèrent faire décoller leur carrière européenne. Crédit : Alan Bernigaud
Originaires du Burkina Faso, du Sénégal ou des Comores, des artistes africains ont fait le déplacement à Avignon pour participer à l’un des plus grands festivals d’arts vivants au monde. Mais, sur plus de 1 600 spectacles proposés, il peut être difficile de s’imposer.
« Histoire ? » « Raconte ! » Sur la scène du théâtre Tremplin, à Avignon, les comédiens de la Compagnie Marbayassa font participer le public. Face à eux, la salle de 50 places est pleine et les spectateurs de tous âges tapent dans les mains au rythme des djembés, balafon et kora. Chaque année depuis douze ans, la compagnie originaire du Burkina Faso se rend au festival d’Avignon, dans le sud de la France, pour présenter ses spectacles. Ce mois de juillet, les artistes burkinabés ont joué tous les jours deux spectacles en alternance : « Contes sous le baobab » et « L’Avare et ses calebasses », une adaptation du texte de Molière.
Comme elle, une dizaine de compagnies africaines se sont rendues à Avignon pour exporter leurs spectacles et se faire connaître à l’échelle internationale. Le conteur sénégalais El Hadji Leeboon – qui signifie « Je vous raconte » en wolof – a tenté sa chance pour la première fois au festival d’Avignon. Avec son spectacle « Tukky », il espère conquérir le cœur des festivaliers, mais les spectateurs ont été assez timides en début de festival. « Au Sénégal, je suis connu, mais ici, personne ne me connaît », admet le directeur de la Case du conteur, un espace culturel situé à Somone, à moins de cent kilomètres de Dakar. Difficile de sortir du lot face aux 1 683 spectacles de théâtre, danse, art du cirque et musique présentés chaque jour. « Le chemin est long pour être connu, reconnaît Guy Giroud, le metteur en scène de la Compagnie Marbayassa. Maintenant, le public nous situe, mais ce n’était pas le cas au début. »
Les compagnies rivalisent alors d’ingéniosité pour se faire repérer par les spectateurs. Malgré la chaleur parfois accablante, les artistes sillonnent les rues de la ville et distribuent des tracts aux passants pour présenter leurs spectacles. El Hadji Leeboon s’arrête parfois pour raconter des contes, tandis que les artistes du spectacle musical « Udjamaa » donnent des concerts improvisés. Pour leur premier festival d’Avignon, les musiciens originaires du Sénégal et des Comores souhaitent à tout prix se faire repérer pour lancer leur carrière en Europe. Au risque d’être parfois surpris par les réactions du public. « En Afrique, dès qu’on joue, les gens se lèvent et dansent naturellement. Ici, il faut venir les chercher, car ils n’osent pas, même si une fois debout ils ont l’énergie pour danser », estime, surpris, le musicien Massamba Dabo.
Un investissement financier
Si le festival d’Avignon permet de rencontrer le public et les professionnels européens, le coût financier est important. « Entre les billets d’avion, les visas, les salaires, la location du théâtre, le logement et les tracts, le coût est colossal !, s’exclame Guy Giroud. Chaque année, on perd environ 5 000 € à Avignon, même quand on remplit le théâtre tous les jours. » Afin d’économiser, les comédiens de la compagnie burkinabé dorment chaque soir dans un camping proche du théâtre. Le conteur El Hadji Leeboon est hébergé chez sa famille à Montélimar et utilise les applications de covoiturage tous les jours pour rejoindre le théâtre, situé à une heure de route. Il est également aidé par la Direction du livre et de la lecture, une instance du ministère de la Culture sénégalais qui subventionne l’achat de ses billets d’avion.
Les artistes peuvent aussi compter sur l’aide de certains théâtres. Si le prix d’une location de lieu coûte « entre 120 et 180 € la place, ce qui équivaut à environ 12 000 € pour un théâtre de 100 places sur toute la durée du festival » selon Guy Giroud, certains théâtres proposent des coréalisations. Dans ce cas, les artistes peuvent jouer leur spectacle et les recettes sont partagées à parts égales entre le théâtre et les comédiens. Fabienne Govaerts, directrice du théâtre Le Verbe Fou qui propose cette année les spectacles « Tukky » et « Udjamaa » a l’habitude d’accueillir des compagnies africaines. « J’ai un lien sentimental avec le Sénégal, car j’y ai eu un théâtre pendant quinze ans. J’avais donc envie de faire venir les artistes et de les aider. Ils logent au théâtre, leurs frais de déplacement sont pris en charge ainsi que la communication autour du spectacle. »
Mais si l’investissement est important, il peut porter ses fruits. « Les programmateurs de théâtre de toute la France viennent à Avignon pour préparer la programmation de l’année à venir. C’est ici qu’on les rencontre et qu’on peut vendre nos spectacles pour organiser nos tournées », explique Guy Giroud. Pour son spectacle « Tukky », El Hadji Leeboon a été contacté par plusieurs théâtres de villes du sud de la France et attend de les rencontrer. Il espère pouvoir revenir l’année prochaine au festival, pour contribuer à cet événement qu’il juge « incontournable et inestimable pour les arts du spectacle ».
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