Les artistes africains questionnent leur(s) identité(s) à la triennale de Kigali
Le danseur camerounais Zora Snake questionne la restitution des œuvres pillées durant une performance dans les rues de Nyamirambo, à Kigali. Crédit photo : Alexandra Vépierre
Le mois dernier, la triennale de Kigali a accueilli près de 200 artistes, principalement africains. Retour sur cette première édition qui visait à asseoir Kigali en tant que capitale culturelle et se voulait une vitrine de l’excellence africaine.
Initiée par Rwanda Arts Initiative (RAI), une association œuvrant pour le développement de l’industrie artistique au Rwanda, la triennale de Kigali a, pendant 9 jours, accueilli environ 200 artistes internationaux. Théâtre, danse, cinéma, peinture, sculpture, photo, design… les talents de toutes sensibilités artistiques ont été mis en avant, même dans des catégories rarement représentées comme la gastronomie ou la mode. Si l’événement devait initialement être de taille plus modeste, il a rapidement intéressé les artistes des pays voisins, jusqu’à atteindre une envergure internationale avec 25 pays invités.
Jules César Niyonkuru, metteur en scène ainsi que comédien rwandais, était responsable de la section théâtre avec Fabrice Murgia, ancien directeur du Théâtre national de Bruxelles. « Nous avons sélectionné 50 % de projets rwandais, 25 % de projets africains et 25 % de créations extérieures, détaille le jeune artiste. Notre fil rouge était de choisir des spectacles de jeunes créateurs et de trouver des pièces de théâtre qui peuvent s’insérer sur le marché de l’art. »
Dans un pays où le manque de moyens et de lieux de diffusion est prégnant, la professionnalisation de la filière et l’exportation des artistes sur le marché international ont été un véritable objectif. « Même si c’est un long combat, nous sentons de plus en plus d’écoute de la part du gouvernement. L’événement a d’ailleurs été organisé en collaboration avec la mairie de Kigali et le ministère des Arts et de la Jeunesse », explique Sophie Kabano, productrice de la triennale et membre du conseil de RAI. L’industrie artistique émerge au Rwanda, mais maintenant la question est de réussir à exporter nos artistes. » Pour cela, des master class et des rencontres avec des producteurs internationaux ont été organisées.
Retrouver sa mémoire pour aller de l’avant
Restitution du patrimoine africain, écologie, système capitaliste, émancipation des femmes, colonisation, identité entre modernité et préservation des traditions… tous ces sujets ont été abordés au travers de pas de danse, de poèmes déclamés en kinyarwanda, de coups de pinceau impulsifs. La réappropriation de la mémoire et des racines est un sujet qui touche particulièrement les jeunes créateurs africains, qui souhaitent s’en servir pour regarder l’avenir. « Nos jeunes artistes arrivent à trouver des propositions très surprenantes où ils mêlent leur ouverture au monde et le retour vers leurs traditions », s’enthousiasme Sophie Kabano. Ils se réapproprient leurs origines, mais dans une forme accessible pour tous, même à l’international. »
Ainsi, dans « The weight of a woman », la Rwandaise Lisette Ma Neza interroge la transmission du génocide sur le son cristallin de l’inanga, pendant que deux danseurs reprennent des pas de danse traditionnelle. De son côté, Zora Snake, danseur camerounais, explore les traditions de son pays pour questionner, dans « L’opéra du villageois », la restitution des œuvres pillées par les colons.
Outre l’exportation des artistes vers l’international, RAI souhaitait également renforcer les liens entre artistes et population à l’échelle locale. Certaines performances ont eu lieu directement dans la rue, comme celle de Zora Snake, afin d’amener l’art directement aux personnes qui n’ont pas l’habitude de se déplacer vers les salles de spectacle. « Les gens étaient très curieux, raconte le danseur camerounais. À la fin de la performance, une vingtaine de jeunes du quartier sont venus me poser des questions sur le spectacle. Ils ont été touchés, donc voilà là où l’art est essentiel. » Durant 2 jours, les artistes se sont également déplacés dans le nord du pays pour exporter l’art en dehors de la capitale.
Après 9 jours éreintants entrecoupés de tonnerres d’applaudissements, les organisateurs se sont avoués soulagés et ravis de cette première expérience, qui a séduit le public et permis la vente de plusieurs spectacles. Durant le show de haute couture qui clôturait l’événement, Isabelle Kabano, comédienne et membre de RAI, a pris le micro avec émotion et prédit pour dans 3 ans « une triennale encore plus importante ». Le rendez-vous est pris.
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